"Il faut désormais que mon coeur, s'il n'aime avec transport, haïsse avec fureur."
Déclarait Pyrrhus à Andromaque.
La phrase est joliment tournée et il n'est pas un cœur de pierre qui ne fondrait à son énoncé. Pourtant, aujourd'hui, nous préférons exprimer notre colère et notre frustration par des mots de haine et des injures sans passion.
Mercredi dernier, j'assistai à une bien étrange scène, dans un métro rempli des derniers noctambules, au teint livide des fins de soirées. Un couple d'amoureux, comme il en court les rues dans cette société qui l'impose comme norme sociale, se tenait à dix mètres de moi, le cœur enflammé par quelque malheureux émoi. Les mots étaient durs et la rage, palpable. Derrière la violence de l'échange, transparaissaient, recouvertes du suaire d'un Amour défunt, détresse et tristesse mélangées. Aujourd'hui, la beauté des vers de Racine est remplacée par la grisaille du vocabulaire sans attrait. Pour exprimer un sentiment fêlé, une blessure douloureuse, d'où s'écoule tout le sang de leur coeur, les protagonistes du métro ont choisi la voix de l'humiliation et de l'injure. Devant un public fade, qui regardait, l'œil vague, cet amour se déchirer et se consumer, ils se traitaient des noms les plus outrageux, se laissant aller à des cris d'hystérie. Ils transformaient la tristesse d'un Amour sans lendemain en ridicule à la frontière du risible.
Personnellement, j'en conviens, je ne suis pas une adepte du conflit. Cela me prend tout mon courage pour aborder les sujets qui fâchent et j'ai certainement dû passer toutes les autres solutions en revue avant de me lancer dans des discussions au futur chaotique. La fuite m'est devenue habituelle et mon orgueil s'efforce de panser mes blessures: je ne montrerais pas ouvertement que je suis triste, autant que possible, mais je n'irais pas non plus chercher des explications à une attitude humiliante, méprisante ou simplement incompréhensible. Je vais souvent attendre que tout devienne plus calme dans mon esprit pour oser aborder de nouveau la personne qui m'a, le plus souvent inconsciemment, blessée. De là, mon aspect si "androïde" dans l'expression de mes sentiments. J'use du recul à l'extrême, analysant tout ce qui m'arrive pour ne pas tomber dans l'émotionnel pur. Il va sans dire que ce n'est pas la meilleure méthode: à mon sens, d'ailleurs, il n'existe pas de bon moyen pour interagir les uns avec les autres. Nous suivons juste nos sentis.
Un de mes amis soulignait justement que le recours à la violence dans les paroles du couple devait certainement permettre un certain soulagement aux protagonistes de la scène. Je me permets de demeurer dubitative. Pour m'être laissée aller quelques fois à ce genre d'explosion, je puis affirmer que je ne m'en suis jamais sentie apaisée. Au contraire: je me sentais, l'instant d'après, aussi vile et sale que la personne que je venais d'incendier. L'humiliation, en l'occurrence publique, et l'injure sont des armes qui blessent profondément, ne causant, à mon sens, que des plaies dont il est impossible de guérir complétement. D'où la fameuse expression "les mots ont dépassé ma pensée", si couramment utilisée pour s'excuser d'avoir ainsi malmené notre interlocuteur. Parce que nous avons perdu le contrôle de nous mêmes, nous avons abîmé une relation et nous avons généré chez l'autre des lésions parfois trop graves pour être soignées.
Sommes-nous si parfaits que nous puissions, ainsi, tout gâcher, mépriser, humilier l'autre à ses moindres faux pas? C'est un comportement qui me gêne profondément et j'aurais toujours tendance à préférer les vers de Racine à la haine sourde et sans lendemain. Certes, certains jugeront que ces dialogues enflammés font le piment de la relation, d'autres encore estimeront qu'ils ne sont que l'expression de notre humanité: nous ne pouvons pas tout contrôler en ce monde. Ces arguments sont indéniables. Pourtant, autant que possible, je me dis que nous qui sommes si fiers d'avoir une intelligence supérieure à tous les autres animaux, nous pourrions en profiter pour taire ce type d'instinct bestial qui préside à toute joute verbale.
Bien sûr, c'est toujours plus facile à dire qu'à faire...
Déclarait Pyrrhus à Andromaque.
La phrase est joliment tournée et il n'est pas un cœur de pierre qui ne fondrait à son énoncé. Pourtant, aujourd'hui, nous préférons exprimer notre colère et notre frustration par des mots de haine et des injures sans passion.
Mercredi dernier, j'assistai à une bien étrange scène, dans un métro rempli des derniers noctambules, au teint livide des fins de soirées. Un couple d'amoureux, comme il en court les rues dans cette société qui l'impose comme norme sociale, se tenait à dix mètres de moi, le cœur enflammé par quelque malheureux émoi. Les mots étaient durs et la rage, palpable. Derrière la violence de l'échange, transparaissaient, recouvertes du suaire d'un Amour défunt, détresse et tristesse mélangées. Aujourd'hui, la beauté des vers de Racine est remplacée par la grisaille du vocabulaire sans attrait. Pour exprimer un sentiment fêlé, une blessure douloureuse, d'où s'écoule tout le sang de leur coeur, les protagonistes du métro ont choisi la voix de l'humiliation et de l'injure. Devant un public fade, qui regardait, l'œil vague, cet amour se déchirer et se consumer, ils se traitaient des noms les plus outrageux, se laissant aller à des cris d'hystérie. Ils transformaient la tristesse d'un Amour sans lendemain en ridicule à la frontière du risible.
Personnellement, j'en conviens, je ne suis pas une adepte du conflit. Cela me prend tout mon courage pour aborder les sujets qui fâchent et j'ai certainement dû passer toutes les autres solutions en revue avant de me lancer dans des discussions au futur chaotique. La fuite m'est devenue habituelle et mon orgueil s'efforce de panser mes blessures: je ne montrerais pas ouvertement que je suis triste, autant que possible, mais je n'irais pas non plus chercher des explications à une attitude humiliante, méprisante ou simplement incompréhensible. Je vais souvent attendre que tout devienne plus calme dans mon esprit pour oser aborder de nouveau la personne qui m'a, le plus souvent inconsciemment, blessée. De là, mon aspect si "androïde" dans l'expression de mes sentiments. J'use du recul à l'extrême, analysant tout ce qui m'arrive pour ne pas tomber dans l'émotionnel pur. Il va sans dire que ce n'est pas la meilleure méthode: à mon sens, d'ailleurs, il n'existe pas de bon moyen pour interagir les uns avec les autres. Nous suivons juste nos sentis.
Un de mes amis soulignait justement que le recours à la violence dans les paroles du couple devait certainement permettre un certain soulagement aux protagonistes de la scène. Je me permets de demeurer dubitative. Pour m'être laissée aller quelques fois à ce genre d'explosion, je puis affirmer que je ne m'en suis jamais sentie apaisée. Au contraire: je me sentais, l'instant d'après, aussi vile et sale que la personne que je venais d'incendier. L'humiliation, en l'occurrence publique, et l'injure sont des armes qui blessent profondément, ne causant, à mon sens, que des plaies dont il est impossible de guérir complétement. D'où la fameuse expression "les mots ont dépassé ma pensée", si couramment utilisée pour s'excuser d'avoir ainsi malmené notre interlocuteur. Parce que nous avons perdu le contrôle de nous mêmes, nous avons abîmé une relation et nous avons généré chez l'autre des lésions parfois trop graves pour être soignées.
Sommes-nous si parfaits que nous puissions, ainsi, tout gâcher, mépriser, humilier l'autre à ses moindres faux pas? C'est un comportement qui me gêne profondément et j'aurais toujours tendance à préférer les vers de Racine à la haine sourde et sans lendemain. Certes, certains jugeront que ces dialogues enflammés font le piment de la relation, d'autres encore estimeront qu'ils ne sont que l'expression de notre humanité: nous ne pouvons pas tout contrôler en ce monde. Ces arguments sont indéniables. Pourtant, autant que possible, je me dis que nous qui sommes si fiers d'avoir une intelligence supérieure à tous les autres animaux, nous pourrions en profiter pour taire ce type d'instinct bestial qui préside à toute joute verbale.
Bien sûr, c'est toujours plus facile à dire qu'à faire...
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