13 octobre 2011

Une semaine plus tard.

Jules insiste. Je reconnais qu'il n'a pas tort mais je ne savais trop comment reprendre la plume. Faut-il beaucoup de mots pour exprimer la fin? J'aurais peut-être pu me contenter d'un lapidaire "C'est fini." et tout aurait été dit. Ma soutenance n'est pas encore bien réelle dans mes souvenirs. Pourtant... Cela fait déjà une semaine que j'entrais, tremblante, dans une salle bondée. Mes amis étaient assis sur les quatre rangées de chaises dévolues au public, formant un mur de soutien pour mon assurance hésitante. Si j'avais dû remporter ma thèse par la force du nombre, les membres du jury n'auraient eu aucune chance.

Les trois derniers jours avant la Fosse aux Lions, je les ai passés prostrée sur mon canapé, avec une pierre à la place de l'estomac. J'imaginais, la pointe au coeur, le président du jury profitant de mon angoisse pour me jeter des boules de compost et ricaner, les sourcils levés, sur l'imposteure démasquée qu'il avait sous les yeux (Non, je n'exagérais pas! C'était très possible! Tout le monde peut se procurer du compost maintenant! :s ). J'entendais déjà ma voix trembloter dans la récitation mal assurée d'une thèse dont je ne me rappelais que les premières pages. Sans crier gare, elle finirait par s'étioler et disparaître, tout bonnement, m'enfermant dans une prison de silence que seule la honte pourrait briser. Assez ironiquement, ces angoisses ne me faisaient que mieux dormir. Un peu comme si mon corps tentait de me protéger en me plongeant dans un comas sans fin, dont je ne me réveillerai qu'après le jour de ce que j'appelais "mon exécution publique". 

Bon, je reconnais que je suis vraiment TROP angoissée. Il était peut-être un peu excessif d'avoir aussi peur d'une journée qui se voulait celle de la consécration pour n'importe quel autre doctorant. Je devrais vraiment apprendre à relaxer et, surtout, à me dire que ce que je fais n'est pas toujours aussi mauvais que je le crois. D'ailleurs, ma soutenance s'est merveilleusement bien passée. Sig m'a même dit que mon directeur de thèse avait trouvé ma prestation excellente: après toutes ces années à n'être qu'une ombre, ce compliment m'a été un beaume au coeur. Je n'ai même pas balbutié et je me suis rappelé de toutes mes recherches! Oui, c'est surprenant, quand on sait à quel point l'angoisse peut me faire oublier jusqu'à mon nom. 

Maintenant, c'est bel et bien fini. Quoique je décide, quoiqu'il se passe dans l'avenir, ce ne sera plus dans le cadre de mes études. Je n'ai plus de reconnaissance à attendre: je viens de passer la ligne d'arrivée. C'est un nouveau chapitre de vie que je dois écrire, loin des bancs d'école. Sur le coup, alors que les membres du jury livraient leur verdict, j'ai eu, l'espace d'un instant, une énorme envie de pleurer. Je voulais embrasser tout le monde pour les remercier de m'avoir aidée, de m'avoir portée jusque-là, je regardais tous mes amis, ma famille et tous ceux qui ont cru en moi - parfois même plus que moi-même - et j'avais envie de leur donner mon diplôme comme juste rétribution de leur amitié, de leur amour et de leur fierté. C'est ironique: réaliser un Doctorat, c'est apprendre à être seul, autonome, persévérant, déterminé afin de mener à bien une entreprise de longue haleine dont, jusqu'à la dernière minute, on ne voit pas bien la sortie. Et pourtant, c'est aussi le moment où on s'aperçoit que les gens ont confiance en vous, vous portent et vous soutiennent pour que vous ne vous écartiez pas trop du chemin. Dans mon cas, je vais presque m'ennuyer des rencontres au Département d'Histoire où nous étions tous des étudiants dans le même bâteau... Bon, j'ai dit "presque"! ;)

Le lendemain de ma soutenance, ça a été le tour de mon Yankee préféré. En 48h, on a explosé la moyenne de soutenance de la chaire de recherche. C'est aussi la fin d'une époque, pour le meilleur, on l'espère. Merci à tous, en tout cas, de m'avoir permis d'arriver là où j'en suis aujourd'hui: à ma soeur qui angoissait presqu'autant que moi, à Jules qui en est sorti tout ému, de magnifiques fleurs à la main, à ma maman qui avaient les yeux rougis en franchissant la porte, à tous pour avoir été là mais aussi à ceux qui ne le pouvaient pas, physiquement, mais qui ont arrêté de respirer un instant, le Jour J, en attendant le verdict. Ainsi mon papa, ma soeur, ma famille et mes amis de l'autre côté de l'Océan. J'ai senti vos pensées. Itte Rashaï Mina-san.