C'est impressionnant comment nous sommes influencés par notre environnement familial. Pour les idées, bien-sûr, on a plus tendance à suivre les exemples de nos parents lorsqu'on a baigné toute notre enfance dans des discussions orientées et un modèle de vie que nous avons inconsciemment catégorisé comme étant la norme. Mais je remarque que nous pouvons aussi hériter d'un rejet profond des choses lorsque leur pratique par notre entourage nous a énormément choqué: je suis, pour ma part, profondément et intrinsèquement allergique à toute forme de crédit - je ne parle même pas de ceux à la consommation qui me provoquent des nausées - et, il faut bien l'avouer, de plus en plus à toute forme d'ésotérisme, religion et autre spiritualité. J'ai toujours pensé que cette dernière tendance devait être personnelle: "crois en ce que tu veux mais laisse-moi tranquille avec mes convictions et, surtout, ne pense pas que cela te donne la science infuse". Voilà, grossièrement, ce que serait ma vision des choses en matière de spiritualité.
Or, ces derniers temps, j'ai envie de renvoyer bouler d'un revers de la main tous ces trips chamano-trucs et médiuméniques. Pourquoi? Eh bien parce que je vois ma maman se noyer dedans. Voyez-vous, ma maman, un peu comme mon papa, ont toujours été des exemples pour moi: ils ont leurs défauts, c'est indéniable, mais ils m'ont élevée dans la communication, la discussion, la remise en cause de tout ce qui m'entourait et que je croyais pour garder un esprit ouvert. Comme disait l'autre, "Je sais que je ne sais rien". C'était un peu notre credo chez nous - même si nous avions quand même des petites orientations. Ma maman, par contre, a toujours eu le don de s'enticher d'amis étranges, qui s'avèrent plus dans une logique de "preneur" (selon la définition d'Adam Grant dont vous pouvez lire la thèse
ici) tandis que ma mère est clairement un "donneur". Bilan? Ma maman se fait essorrer émotivement jusqu'à la moëlle alors que ses "amis" abusent largement de son désir de plaire et d'être appréciée. Rien ne me fait autant de peine que de voir ces échanges inégaux. L'amitié, c'est quelque-chose de gratuit: qu'on ne puisse pas espérer l'entretenir sans avoir à participer à douze mille trucs payants, envahissants et obnubilants, ça ne rentre pas dans ma tête.
Bref, le dernier trip de ma maman est de faire partie d'un groupe de médiums - canalisateurs - transes truc. À la limite, si ça reste un point commun d'amis et une spiritualité personnelle, pourquoi pas? Mon problème, c'est que pour devenir médium-canalisateur truc, il faut (évidemment, oserais-je dire!) payer! Des stages, des livres, des rencontres, des transes, etc. tout est prétexte à payer et comme c'est une croyance non encadrée car non reconnue officiellement, il n'y a évidemment pas de grille tarifaire ou de promotions! Du coup, ma maman, convaincue que ça lui fait du bien (mais je me demande, pour ma part, si c'est de passer du temps avec ses amis OU la transe qui fait ce "bien" là), n'hésite pas à dire oui à tout, la bouche en coeur. Etant donné la petite retraite qu'elle touche, un mois sur deux, elle est dans le trou et un mois sur deux, elle a une peur panique dès que papa lui demande de payer un stationnement à 4 euros ou des courses, parce qu'elle n'a plus une cenne et qu'elle n'ose pas lui dire (le côté bourru et obtus de mon papa à ce sujet n'aide pas, je le reconnais). Personnellement, ce stress la met dans un tel état de colère contre elle-même que je ne vois pas clairement le "bien" qu'elle a retiré de ces séances...
Ce qui m'ennuie vraiment dans tout ça, c'est le changement que cela a eu chez ma maman ouverte d'esprit. Elle est devenue dévote. Impossible de penser différemment: c'est choquant si on ne croit pas ce en quoi elle croit. Si je ne veux pas utiliser ses "couleurs" pour guérir d'une angine, c'est que je mérite d'être malade! Nous avons même eu une discussion enflammée sur les vaccins car elle est à la limite de ne plus jamais vouloir voir un médecin classique, préférant se soigner avec des jets de lumière et des transes. Son esprit est celui de n'importe quel croyant trop intense: il pense avoir la science infuse et toi, pauvre infidèle, tu ne sais même pas le reconnaître. C'est un peu ça... Suite logique de cette façon de penser, elle veut passer plus de temps avec ses "amis", ceux qui savent, eux, la Vérité, et moins avec nous, sa famille, qui est bien gentille mais visiblement barbare. Insidieusement, ses rencontres et stages ont grignoté son temps en France: avant, elle s'arrangeait pour que les semaines que nous passions en France, elle soit avec nous. Maintenant, ça a l'air d'être un poids monstrueux dès qu'elle doit annuler ou déplacer une séance et elle n'hésite pas à y aller si on reste trop longtemps. Vous comprenez, six semaines sans transe, elle pourrait peut-être perdre ses amis ou son ange... Bref, lentement mais sûrement, et quoiqu'elle en dise, elle nous fait passer au second plan pour se consacrer pleinement à ses croyances et aux exigences que cela demande. Telle une dévôte. Le terrain étant suffisamment gagné en France, c'est au Canada que désormais il cherche à avancer: avant, elle venait nous voir, passait du temps avec nous, allait voir ses amis, etc. lors des quelques semaines qu'elle passait au pays des glaces. Maintenant? Elle se planifie des stages de deux semaines avec des gens qu'elle connaît à peine mais qui sont forcément ses amis puisqu'ils partagent le même trip qu'elle. Eux, ce ne sont pas des infidèles comme nous.
Je deviens allergique à toute dépendance: financière, spirituelle, etc. Elles vous avilissent, vous emprisonnent, vous éloignent de ce qui est important dans la vie. Je perds ma maman à cause de ses croyances. Petit à petit, elle s'éloigne de nous en prétextant que tout ça, c'est notre faute, c'est parce qu'on ne la comprend pas. Il n'y a rien à comprendre: lorsqu'il y a exigence de temps, d'argent et qu'on préfère y succomber qu'être auprès de nos proches, il y a clairement un choix à faire. Elle l'a fait. Elle me manque...