9 novembre 2009

Choix d'une vie rêvée.

-"Hey, ça fait longtemps! Que deviens-tu?
- ... J'essaie de finir mon doc.
- Encore? C'est vrai que c'est long. Pis ton voyage en Asie, comment c'était?"

Un bruissement de nerfs qui se froissent? Ah oui, ce sont les miens. J'imagine que mon interlocutrice ne cherche pas à me poignarder dans le dos sciemment, donc je réponds, le plus aimablement que ma frustration le permet:

-"Eh bien, suite à diverses modifications de plans, ce voyage a été annulé.
- Oh, c'est dommage. Bah, tu pourras le faire après ta thèse."

Tiens, quelle détestable remarque! Je pense que j'ai dû l'entendre, en moyenne, une dizaine de fois par semaine depuis le commencement de la dite thèse, et, après trois ans révolus, elle a un arrière goût légèrement âcre.

L'avantage de ne pas avoir régulièrement des nouvelles de quelqu'un est, sans aucun doute, que nous découvrons des milliers de choses lors des retrouvailles. L'aspect négatif réside dans le fait que, à défaut d'avoir pu réaliser le quart des projets évoqués lors de notre dernière rencontre, chaque entretien se métamorphose très vite en un lent cloutage au pilori. En fait, j'avais surtout l'impression que mon interlocutrice prenait un malin plaisir à me faire remarquer à quel point ma vie n'avait mené à rien de concret ou d'intéressant depuis les trois dernières années.

-"De toute façon, il te faudrait de l'argent pour voyager. Depuis le temps que tu étudies, tu ne dois plus en avoir beaucoup. Par exemple, lors des quelques années que j'ai passées en Amérique Latine, j'ai pris un an pour en faire le tour mais ça m'a coûté toutes mes économies. Toi, il te faudra sûrement travailler avant. Tu cherches dans quoi, au fait?
-... Chômage."

Finalement, je me rappelle pourquoi je ne parlais plus à cette jeune fille depuis tant d'années. Elle parle trop. Bon, c'est sûr, ce qu'elle dit n'est pas dénué de sens. Lorsque je regarde autour de moi, la plupart de mes amis qui voyagent ont les moyens ou bien, ils ont travaillé suffisamment longtemps avant leur départ pour ne pas, comme j'ai eu si souvent tendance à le faire, se retrouver bloqués dans un coin de pays pas rapport, sans le moindre sou en poche. Pourtant, je ne peux m'empêcher de continuer à établir des plans sur la comète, et, invariablement, ils mènent à un dénouement décevant. Évidemment, je ne peux me lancer à la découverte du Laos avec une thèse en attente sur les bras. Ce serait, ma foi, assez mal perçu par mon entourage, je le crains.

J'ignore sincèrement ce que je vais faire avec mon diplôme, si je parviens, un jour, à l'obtenir. J'aimerais vraiment pouvoir réaliser mon objectif qui est de travailler à l'UNESCO. Ce n'est pas particulièrement le chemin le plus facile mais c'est de loin le plus intéressant, à mon sens. Le principal ennui est que je ne suis pas la seule à le penser. Nous verrons bien: à chaque jour suffit sa peine, comme disait l'autre. Sauf qu'il affirmait également que ce que nous semons aujourd'hui sera la récolte de demain alors, finalement, il a déclaré tout et son contraire, cet "autre" dont personne ne se soucie du nom.

Après la conversation avec la fort désagréable jeune donzelle qui mettait en évidence toutes les apories de mon existence, je me suis prise à me demander ce que j'aimerais faire là, tout de suite, si je n'avais pas d'obligations scolaires, financières, ou autres limitations morales. "Voyager" m'est venu immédiatement. Prendre mon sac à dos et vivre un peu partout, travaillant au gré des possibilités, découvrant que si les grands de notre société sont tous un peu pourris, il reste toujours des êtres sans prétention qui gagnent à être connus, des personnes anonymes au cœur plus précieux que tout l'or du monde, des quidams mystérieux au sein de bouts de pays magnifiques.

Bruno Blanchet, un chroniqueur de La Presse, illustre tout ce que je voudrais être: il y a quatre ans, ce comédien et polyvalent artiste, a tout vendu pour parcourir le monde avec son sac à dos. Il écrit une chronique hebdomadaire pour le journal La Presse et vit de presque rien. Il est, je l'avoue, devenu mon idole! Je ne peux m'empêcher de voir une certaine réalisation de la liberté de l'être, là où, pourtant, on pourrait déceler un besoin de fuite. Il déclarait récemment: "voyager, c'est être en vie tout le temps". Je suis tellement d'accord avec cette petite phrase que, une fois de plus, je me prends à rêver. Au fond, n'est-ce pas cela le but de l'écriture et du voyage? Donner un peu de rêve en un monde si riche en merveilles méconnues.

5 commentaires:

  1. "Voyager, c'est être en vie tout le temps". Ne pourrait-on pas tourner cette phrase de maintes autres façons, toutes aussi "vraies" que celle-là? Par exemple, comme tu suggères toi-même, "voyager, c'est être en fuite tout le temps". Je trouve qu'il y a de la vérité là-dedans, même si je ne le soutiens pas à 100%. À mon sens, ça se dit bien mieux de même: "voyager, c'est voir tout sans ne jamais rien connaître". Au même temps, j'avoue que ce n'est qu'un point de vue personnel (qui privilégie le profondeur par rapport au largeur). Dans ton cas, ne vaudrait-il pas mieux écrire: "vivre, c'est voyager tout le temps (ou aussi souvent que possible)"? Ou bien, "vivre, c'est rêver le voyage (la vie?) dans toutes ses possibilités"?

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  2. Eh bien, disons que le point de vue "voir tout sans rien connaître" se défend dans une certaine mesure, mais tout dépend de comment tu abordes le voyage. Tu peux passer une vie entière dans un pays, une ville, et ne pas plus la connaître que si tu l'avais traversé le temps d'un souffle. Tout est une question d'attentes et d'état d'esprit lorsque on aborde le voyage. Même infime, la connaissance qu'on en retire est enrichissante et pour soi et pour notre entourage car elle modifie notre perception du quotidien et nous sort de notre individualité.

    Enfin, c'est mon point de vue. Dans l'idée de voyage que j'expose, je ne privilégie pas nécessairement la largeur plutôt que la profondeur: je n'ai pas déclaré vouloir faire le tour du monde en six mois. J'ai affirmé vouloir voyager pour découvrir le monde qui nous entoure. Cela peut prendre tout une vie. Il y a tout de même une grande différence, selon moi, entre découvrir un pays en deux semaines en tout inclus (largeur) et passer plusieurs semaines, mois, peu importe dans un pays (profondeur), au contact des gens et des choses, en sachant que la connaissance ne sera jamais totale.
    Je suis d'accord avec tes dernières tournures de phrases mais elles ne sont pas nécessairement incompatibles avec celle de Mr Blanchet, si? ^_^

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  3. Ce que je visais dire, c'est que la phrase de M. Blanchet est, à mon sens, bien trop restrictive car elle insiste sur le côté exceptionnel et, somme toute, éphémère de la vie. Ce n'est pas pour dire qu'on ne peut pas y trouver son bonheur mais plutôt pour souligner que le voyage, entendu dans son sens propre (d'aller dans un lieu éloigné), tend à valoriser l'irréel. Suivant cette logique-là, le voyage devient une espèce de rêve qui nous permet de quitter notre quotidien. Cela est certes utile et agréable, mais, sauf si on a trouvé un emploi à La Presse, ne permet pas de construire quoi que ce soit. Bref, un beau rêve est quelque chose de merveilleux mais qui, tout comme un cauchemar, n'est que transitoire.

    Cela dit, lorsqu'on aborde la vie comme un voyage (et non pas le voyage comme la vie), il me semble qu'en effet on expérimente une quantité de belles choses en récompense de l'effort dépensé. Le secret, me paraît-il, est de ne pas baisser les bras et de ne pas s'enfermer dans son quotidien. Puis là, j'imagine, on doit être d'accord.

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  4. "Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
    Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
    Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
    Vivre entre ses parents le reste de son âge !

    Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
    Fumer la cheminée, et en quelle saison
    Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
    Qui m'est une province, et beaucoup davantage ?

    Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
    Que des palais Romains le front audacieux,
    Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine :

    Plus mon Loir gaulois, que le Tibre latin,
    Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
    Et plus que l'air marin la doulceur angevine."

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  5. Merci, Joachim Du Bellay pour cette belle intervention!;) On néglige trop souvent la poésie alors qu'elle offre à elle-seule un beau voyage! ^_^

    "x", nous sommes d'accord sur le dernier paragraphe. Et s'il est en effet vrai qu'on peut percevoir l'envie de voyager comme une fuite de qui l'on est ici, il est, tout de même, à mon sens, trop réducteur de l'y limiter. Au fond, cela reviendrait à dire qu'on ne part pas pour découvrir mais qu'on part pour fuir: ce sont deux choses différentes même si facilement conciliable. ^_^

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