23 février 2011

L'hypocrisie politique soumise à la Loi du pétrole.

L'une des raisons pour lesquelles je ne voudrais jamais faire de politique, outre les considérations triviales sur mon incompétence dans le domaine, demeure sans aucun doute l'hypocrisie et la torsion de nos convictions qui sont intrinsèques au pouvoir. Parce que, dès que nous atteignons le sommet d'un Etat, beaucoup trop d'enjeux entrent en ligne de compte pour pouvoir faire l'unanimité - que ce soit à l'interne ou dans les relations extérieures- il devient très vite impossible de rester cohérent et intègre. Le cas des révolutions dans le monde arabe en est la preuve la plus évidente. Sans pousser notre analyse jusqu'au comportement de ces chefs d'Etat désavoués qui préfèrent massacrer leur peuple plutôt que de l'écouter, un simple regard sur le comportement des puissances "amies" de ces dirigeants nous le démontre. Bien entendu, lorsque les média qualifient ces pays d'"amis", ce n'est qu'en termes économiques car il n'y a que ces considérations qui régissent notre monde aujourd'hui. De là, la platitude des remontrances lors d'abus de pouvoir et d'entorses aux droits de l'homme: tant que les média en parlent, les chefs d'Etat s'offusquent, du fond de leur palais présidentiel, mais dès que les caméras se lassent de ces scandales et reviennent nous raconter les malheurs de voisinage dans nos propres contrées, tout le monde oublie les belles paroles et reprend les relations économiques d'antan. Qui se rappelle encore qu'au Zimbabwe, le président a "volé" les élections et massacré les partisans du véritable élu?

D'ailleurs, il n'y a qu'à regarder les informations à Radio Canada, par exemple (mais ce doit être pareil partout, je suppose) : elles portent, pour un tiers, sur les massacres en Lybie et pour les deux tiers qui restent sur les conséquences économiques que cette guerre civile a sur le pétrole. Car, oui, ce qui nous préoccupe, c'est moins les souffrances d'un peuple qui tente de se débarrasser de ses chaînes, au prix de centaines de morts, que de savoir si notre voiture aura encore assez d'essence demain pour aller faire l'épicerie. À chacun ses sujets d'inquiétude. Il est vrai que la Lybie, c'est loin et il en filtre encore moins d'images que des deux autres pays arabes qui ont mis à bas leur président. Du coup, point d'images (ou presque) à donner en pâture aux télespectateurs - les médias préfèrent se tourner vers un sujet qui nous touchent et les futurs abus des stations services, trop contentes de pouvoir encore augmenter leurs prix, émeuvent certaienement autant dans les chaumières. Quelques journaux se scandalisaient, hier, de ne pas voir l'Union Européenne réagir et villipender le comportement de Khadafi. Ils seront satisfaits: elle a réagi aujourd'hui. Mais quel pouvoir cette désapprobation internationale bien-pensante peut-elle avoir sur un, passez-moi l'expression, taré qui n'hésite pas à bombarder des manifestants? Il n'est pas si loin le temps où ce pseudo chef d'Etat lançait des bombes sur l'Ecosse! Et pourtant, la communauté internationale lui a pardonné et l'harmonie semblait régner en tout hypocrisie. Que voulez-vous? C'est l'économie qui commande et la Lybie est, nous le savons désormais, essentielle au commerce du pétrole. Peu importe le combat des Lybiens, leur courage à se dresser devant un monstre égocentrique qui n'aime que les richesses et le pouvoir : s'il parvient à les écraser, il n'y aura pas un chef d'Etat pour protester et isoler l'antre de l'or noir. Les Lybiens ne peuvent compter que sur eux-mêmes et les rapports de force semblent bien inégaux.

Un moment d'utopie aurait pu nous laisser croire que cette menace de pénurie de pétrole, qui n'est ni la première ni la dernière, nous aurait convaincu de véritablement délaisser cette ressource si fragile pour ne plus être à la botte économiquement parlant d'une poignée de puissants aux idéologies litigieuses. Mais c'est une utopie. Jusqu'à ce que la dernière goutte de ce liquide poisseux et polluant, nous et nos chefs d'Etat continueront de piétiner nos convictions pour ne pas heurter les sensibilités de dictateurs maniaques qui ont la gachette facile. Ces derniers le savent, d'ailleurs, et c'est ce qui rend le pouvoir de l'ONU et les remontrances réclamées par les journaux si désuettes. Vous me direz, le silence est souvent pire que le cri dans le désert. Mais peut-on m'en vouloir de rêver à des paroles sincères suivies d'actions (non pas militaires-je ne prône pas la guerre- mais au moins économiques, puisque telle est la loi de notre monde)?

21 février 2011

Les Petites Annonces Classées... par qui?

Une des joies d'Internet, c'est qu'il nous est désormais possible de chercher n'importe quoi tout en nous empâtant tranquillement dans notre fauteuil. C'est tout de même formidable, le progrès. Besoin d'un emploi? d'un logement? d'un chien? Voire d'une tondeuse dernier cri? Aucun problème! Les sites de petites annonces en tout genre sont plus nombreux sur la toile que le chiendent dans la forêt! C'est presque magique: en deux temps, trois mouvements, on remplit nos critères pour affiner notre recherche: par exemple, "5 1/2 dans le quartier villeray ou Rosemont/Petite Patrie à Montréal pour moins de 1000 dollars par mois" (oui, moi aussi je rêve! (pour information, le 5 fait allusion au nombre de pièces et le 1/2 à la salle de bains)). La logique voudrait donc que je reçoive uniquement les annonces correspondant à mes critères, n'est-ce pas? Histoire que vous ayez l'impression que les quelques minutes que vous avez passées à les remplir n'étaient pas que niaisages inutiles. Eh bien non! Allez savoir pourquoi, certains s'échinent à mettre leur offre de location pour une maison à Gaspé (à, à peine, 15h de route de Montréal. Sait-on jamais, ça pourrait intéresser quelqu'un de là-bas), dans la catégorie "location annuelle Montréal". Remarquez, sur le coup, ça nous redonne de l'espoir car c'est la seule annonce (ou presque) qui rentre dans votre budget. Reste plus que le problème des trajets quotidiens pour aller bosser...

Parmi ces envahisseurs des petites annonces (car leur objectif ne peut que répondre à un désir d'invasion de toutes les strates du site ou bien il est l'indice de leur illettrisme avéré), il y a ceux qui espérent prendre par surprise l'éventuel locataire. Ainsi, par exemple, avant que Jules et moi déménagions dans notre nouvel appartement, je suis tombée sur une annonce fort intéressante, au prime abord. De mémoire, cela donnait quelque chose comme: " 5 1/2 à louer, bien situé, proche de tous les services, Montréal, 750 dollars". Alors, certes, d'aucuns diront que le montant du loyer aurait dû me mettre la puce à l'oreille, de même que le numéro dans le 819. Que voulez-vous? Je reste naïve parfois et, à ma décharge, certains propriétaires n'habitent pas sur l'île même. Bref, les photos sont belles, il n'en faut pas plus pour me convaincre. J'appelais donc, le coeur empli d'espoir, imaginant déjà l'aménagement intérieur du futur nid douillet qui nous attendait, Jules et moi. Un monsieur d'un certain âge décroche et, naïvement, je l'informe que je l'appelle au sujet de l'appartement à louer. Il me fournit les informations et prononce le mot "Magog" dans la situation du logement. Je tique et demande confirmation:

-"Magog? Ce n'est pas à Montréal?"
-Ben voyons! Ben non, c'est pas à Montréal!
-Ah. C'est parce que sur l'annonce, c'était marqué Montr...
-Mais non! C'est à Magog! Ça vous intéresse ou pas?
-... Non..."
Tût! Tût! Tût!

...

Un grand moment. Passons sur la fin particulièrement agréable de notre conversation pour nous pencher sur le constructif dialogue. Non seulement Charlot - nous l'appellerons ainsi - met son annonce dans la catégorie "Montréal" mais en plus il me renvoie dans les cordes car je viens de m'en rendre compte. Genre, j'aurais dû deviner que ce n'était pas Montréal qu'il voulait écrire lorsqu'il l'a écrit, mais Magog. C'est vrai quoi, y a au moins le "M" en commun. Bref, les catégories pour classer son annonce semblent bien accessoires à certains. Je devrais peut-être faire pareil pour vendre la maison de mes parents et la diffuser sur les sites d'annonces d'ici: 

-"Vous cherchez un trois pièces pour moins de 1000 dollars par mois en plein coeur de Montréal? J'ai ce qu'il vous faut! Une magnigique maison avec jardin à la vente, à moins de 8 heures d'avion du centre-ville! Une occasion en or!"

17 février 2011

Une Laïcité catholique.

Laïcité: caractère de ce qui est laïque, indépendant des conceptions religieuses ou partisanes - Système qui exclut les Eglises de l'exercice du pouvoir politique ou administratif [...]

Il s'agit là de la principale caractéristique des Etats occidentaux, si prompts à condamner les politiques des pays islamistes, et qui repose sur une séparation nette et entière de la politique et du religieux. Alors je ne comprends pas comment, aujourd'hui, au Canada, on peut en arriver à une situation où le maire d'une ville va en appel d'une décision de justice parce qu'il veut conserver la prière avant les conseils municipaux et les statues de la Vierge dans son hôtel de ville. Que s'est-il passé? Un retour dans le temps? Comment ce sujet peut-il même faire débat? Le Canada est un pays laïque, oui ou non? Si les représentants de la population s'affichent et imposent leurs croyances religieuses dans le cadre de leur travail, puis-je savoir quelle est leur définition de la laïcité? L'argument des racines d'un peuple, qui avait d'ailleurs déjà été soulevé par Pauline Marois pour justifier la croix à l'Assemblée Nationale alors même qu'elle refusait tous les autres signes religieux des autres croyances, me génère de l'urticaire. La religion chrétienne a été au coeur des sociétés européennes et a contribué à leur construction, sans contredit, que ce soit en bien ou en mal. Mais aujourd'hui c'est la laïcité qui est supposée définir nos régimes politiques, pour éviter de mélanger les genres. Pour simple rappel, ce n'était pas Eurodisney du temps de la domination politique du clergé alors on est en droit de réclamer une séparation des pouvoirs qui ne devrait même plus être sujette à débats! La religion est une affaire personnelle ou bien, si c'est un Etat catholique qu'on veut, alors qu'on ne se présente pas comme un pays de droits et de libertés car ce serait exclure tous ceux qui ne croient pas dans les mêmes choses. 

Ce qui me sidère le plus dans cette histoire, c'est la réaction des médias. Ils prennent le temps de débattre et de se positionner pour ou contre la présence du catholicisme en politique. En réagissant ainsi, ils légitiment la position du maire qui revendique sa prière au Conseil municipal! Or, si un Etat est laïque, c'est juste illégal de montrer son appartenance à une religion, comme ça l'est pour les professeurs dans les écoles! De quel droit peut-on exiger d'un musulman ou d'un Sikh qu'ils ne portent et ne montrent pas de signes de leur appartenance religieuse si un élu impose lui-même ses propres croyances? Si c'est une question de racines, je me permets de rappeler qu'avant même les Catholiques, ce sont les Autochtones qui ont permis aux premiers Français de ne pas mourir du Typphus: ne devrait-on pas, à ce compte-là, orner les hôtels de ville de colliers de wampum? Si l'Histoire évolue, ce n'est pas pour rester accroché aux vestiges du passé - vestiges qui ne sont pas que beauté et amour en l'occurrence. Un Etat laïque est supposé s'être élevé au dessus de toutes les questions religieuses du monde et les croyances devraient demeurer de l'ordre du privé. D'aucuns ont dit que la situation du maire n'était pas pareille parce qu'il habitait Saguenay et que ce n'était pas aussi multiculturel que Montréal ou Québec, par exemple. Je me permets de m'étonner: c'est quoi le rapport? Saguenay, parce qu'elle est une ville éloignée, doit être un royaume catholique indépendant du reste du pays? Elle n'est pas soumise aux mêmes lois? Parce qu'elle est loin, elle n'est pas obligée de respecter les croyances de chacun? Quand bien même, il y aurait 98% de Catholiques dans cette ville, cela change-t-il quoi que ce soit à la Constitution des Droits et Libertés du pays? C'est un genre de message pour dire aux 2% d'athées du village de déménager s'ils ne sont pas contents?

Mélanger politique et religion, ce n'est pas si loin de ce qui a mené à l'intolérance et à l'exclusion. C'est, ironiquement, ce qu'on reproche à l'Iran et ce qu'on avait si peur qu'il advienne en Egypte. Mais, dîtes-moi, peut-être pouvons-nous balayer devant notre porte avant de jouer les vierges effarouchées?

14 février 2011

Projet Andromaque: le fourvoiement d'une mise en scène.

Personnellement, le théâtre est un art qui me fait vibrer. J'aime autant le lire que le voir jouer mais idéalement, j'imagine, il serait mieux de ne pas lire et assister à la même pièce - ou en tout cas, pas en ayant lu le livre en premier. En effet, lorsqu'une œuvre est ainsi adaptée à la scène, alors qu'elle est déjà imprimée dans votre esprit, il faut beaucoup de travail au Hasard pour que vous ne soyez pas déçu par la mise en scène. Inéluctablement, en lisant la pièce originale, vous aviez conçu un environnement, une façon de jouer et de déclamer les répliques qui ne se retrouveront pas dans l'imaginaire du metteur en scène - à moins que vous ne partagiez le même imaginaire. Hier soir, en assistant à Projet Andromaque, j'ai pu, une fois de plus, constater cette triste réalité du théâtre.

Notez que je ne remets pas en question la qualité du spectacle: j'aimais beaucoup la pièce de Racine donc je ne pouvais être déçue par le texte. En outre, grâce à mes presque 10ans de latin, je suis quand même bien informée sur l'histoire de la Guerre de Troie, de ses héros et des vaincus: les personnages m'étaient familiers et je connaissais leurs dilemmes. À leur personnalité tourmentée, les acteurs ont su donner vie et consistance. Pourtant, j'ai été excessivement déçue par la mise en scène, qui se voulait sûrement (trop) moderne et épurée. Pour situer ceux qui ne connaitraient pas Andromaque de Jean Racine, il s'agit, globalement, d'une tragédie amoureuse entre les survivants de la Guerre de Troie - ce fameux conflit raconté dans l'Illiade où les Grecs viennent mettre à feu et à sang la dite ville afin de récupérer la femme de Ménélas, Hélène, qui a été enlevée par Pâris, fils de Priam et prince de Troie. Hector, frère de Pâris et mari d'Andromaque, est le Héros de Troie mais il va périr sous les coups d'Achille, qui traînera son corps derrière son char tout autour de la ville, afin de complèter l'humiliation. Vaincue, Troie tombe et les Grecs se partagent les restes: Pyrrhus (Néoptolème en grec), fils d'Achille, emmène Andromaque, femme d'Hector, tandis que Ménélas le fiance à la fille d'Hélène, Hermione, pour le récompenser de ses efforts de guerre. Voilà, le décor est planté, la pièce peut donc commencer. 

Racine présente la situation sous forme de triangle amoureux: Pyrrhus aime Andromaque, qui ne désire que sauver son fils, vestige d'Hector. Or Pyrrhus est promis à Hermione, qui l'aime intensément, alors qu'elle est elle-même aimée d'Oreste, son cousin. Dans son adaptation, Serge Denoncourt a cherché la modernité dans une histoire d'un autre temps et ce n'était pas, à mon sens, très heureux. Entre chaque moment tragique, il a intercalé des intermèdes musicaux, un genre de techno trop forte, durant lesquels les personnages faisaient n'importe quoi. J'imagine que c'était supposé illustrer la confusion des esprits d'amoureux qui se déchirent mais, dans les faits, cela semblait sorti de nulle part et coupait tout l'effet tragique de l'instant. À cela s'ajoute le décor par trop épuré: la pièce commence avec une immense table autour de laquelle s'assoient tous les personnages, donnant l'impression que l'on va assister à une lecture de texte en bonne et due forme. Cette table sera l'unique décor: que les personnages la séparent en deux, y montent dessus, se cachent dessous, elle demeure au centre de toutes les actions. Aucun personnage ne disparaît jamais de la scène, se contentant d'être en retrait par rapport aux autres, qui les regardent lorsqu'ils parlent d'eux. Cela donne une impression un peu confuse de la situation.

Ce qui sauve la pièce est, sans nul doute, le jeu d'acteur qui est excellent. Anne Dorval ne faillit pas à sa réputation, de même que François-Xavier Dufour et tous les autres. Ils interprètent avec talent les textes de Racine pour nous en faire partager l'émotion et la tension. Il est dommage, selon moi, que la mise en scène ait cherché à donner trop de modernité à une pièce qui, par son texte seul, avait déjà ses lettres de noblesse. Peut-être aurais-je plus apprécié si je n'avais pas lu l'oeuvre originale avant mais encore là, je n'en jurerais pas!

11 février 2011

Moubarak démissionne: une victoire du peuple?

Voilà. Une nouvelle page de l'histoire d'Égypte vient de s'écrire aujourd'hui: Hosni Moubarak a démissionné, cessant, après 18 jours, de faire la sourde oreille aux cris de son peuple. Dans les rues du Caire, d'Alexandrie et d'ailleurs dans l'ancienne contrée de Pharaons, une liesse sans pareille anime les foules dont les chants résonnent jusqu'ici. Il peut être fier, en effet, le peuple égyptien: il a retrouvé, à l'instar des Tunisiens quelques semaines plus tôt, toute sa fierté et son pouvoir de décider. Il a résisté envers et contre tout à un régime qui refusait désespérément de voir sa fin approcher. Pour avoir mené cette révolution à son terme, pour ne jamais avoir faibli ni s'être laissé intimider par la violence latente des fidèles de Moubarak, ce peuple mérite toute notre admiration et sa page dans le grand livre de l'Histoire de son pays. Pourtant, je ne peux m'empêcher de me demander jusqu'à quel point les Égyptiens ont gagné?

Dans les faits, le paysage politique du Trésor du Nil est assez désert, après 30ans de régime despotique. Il ne reste pas grand monde pour écouter et satisfaire les exigence du commun des mortels. Entre les Islamistes et l'Armée, le choix s'avère cornélien: Charybde ou Scylla? C'est la seconde qui l'a emportée, d'après les dernières nouvelles. Mais n'est-ce pas justement la continuité? Moubarak ne sortait pas de derrière les fagots: c'est l'Armée qui l'a porté au pouvoir, tout comme Nasser avant lui. Son pouvoir était issu d'un monde de militaires, ce sont donc eux, en dernier ressort, qui avaient la main mise sur le pays. Alors, certes, leur attitude durant les manifestations, souvent favorable aux résistants, voire protectrice contre la police, pourrait laisser penser qu'ils sont les gentils de l'histoire. Il est vrai que c'était de leur soutien, comme dans tout état policier, que dépendait le maintien au pouvoir du président. La démission de celui-ci démontre qu'ils ont choisi leur camp. Certes. Sauf que c'est toujours eux qui ont le pouvoir.

Puisque à chaque jour suffit sa peine, il faut laisser aujourd'hui le peuple égyptien à la fête. Il a réussi à abattre un colosse, seulement armé de son désespoir et de sa volonté sans faille pour un changement. Il sera toujours temps, demain, de compter les points de part et d'autres. Après tout, peut-être que l'Armée va véritablement permettre la tenue d'élections libres, apportant au peuple leur récompense démocratique qu'ils ont si chèrement payée. Peut-être qu'elle ne va pas, comme elle a si tendance à le faire dans tous les pays où elle s'impose, simplement remplacer un dictateur militaire par un autre - toujours prêt à la favoriser au détriment de la masse. Peut-être. L'Histoire nous a déjà pris de court en permettant au monde arabe de prendre le contrôle de son existence, au moins quelques jours, pour faire entendre sa voix. Pourquoi ne nous surprendrait-elle pas à nouveau? C'est, en tout cas, tout le mal que je souhaite au peuple d'Égypte: pour une fois que son cœur résonne à l'unisson, que ce soit le signe d'un renouveau dont il aurait lui-même à décider de la forme.

Pour l'heure, peut-être pouvons-nous juste nous arrêter au bonheur gagné. Comme l'écrit l'envoyé spécial de Radio Canada, Akli Aït Abdallah sur son blog, "La place Tahrir exulte. Peuple et armée main dans la main. Liberté. Le peuple a arraché la chute du régime. Liberté. Les drapeaux de l’Égypte sont brandis très haut. Certains prient. D’autres pleurent ou s’embrassent. On continue d’arriver sur la place noire de monde. La place de la Libération n’a jamais aussi bien porté son nom."

9 février 2011

L'image de la transparence

-"Ouin, en même temps, c'est normal que tu ne sois pas invitée aux party. T'es pas sexy."

Tiens. Je crois que je viens de perdre deux dents. Vous me direz, c'est indéniable: avec ma hantise du maquillage et mon amour inconditionnel pour les jeans, je ne peux incarner l'archétype de la, passez-moi l'expression, "bonnasse". Il n'empêche que c'est un peu comme dire à quelqu'un qu'il est gros: même s'il le sait déjà, ça va lui faire mal et je ne vois pas comment celui qui lui fait partager ce constat peut ne pas s'en rendre compte. Il n'y a absolument aucun contexte, aucune tournure de phrase, aucune conversation qui peut laisser supposer que dire à quelqu'un qu'il est gros ne le blessera pas. Ben, en l'occurrence, c'est un peu pareil. Je ne suis pas sexy, certes, (et c'est entièrement de ma faute vu que je n'ai pas encore trouvé l'intérêt de passer une heure de plus dans la salle de bain à me battre avec un fard à joue) mais ce n'est pas nécessairement une raison pour me le lancer  dans la conversation comme si c'était un fait acquis, avéré et accepté. À fortiori, il est d'autant plus déplacé de se servir de ce constat pour justifier mon apparente inexistence aux yeux des autres. Remarquez, c'est pas comme si j'étais vraiment vexée de ne pas avoir été invitée - surtout si être sexy était le principal critère pour l'être - mais c'est comme une preuve supplémentaire de mes qualités en tant qu'être invisible, fade et dont la compagnie n'est ni recherchée, ni même imaginée. C'est un peu, finalement, comme si je m'étais fondue dans une masse informe dont la caractéristique première est l'indifférence car rien ne me distingue des autres. Bon, en fait si, je suis vexée comme un pou de n'être qu'une ombre qu'on ne remarque pas alors que je côtoie ce milieu depuis plus de deux ans et que je m'y suis, stupidement je le reconnais, attachée.

Ce n'est pas très grave, dans les faits. Au fond, ce n'est pas comme si je n'avais pas l'habitude. À force d'être la "petite fille gentille et timide", je finis par disparaître de la conscience des gens sans qu'ils ne s'en rendent compte. Si l'on ne me connaît pas assez, on se contente de me trouver "sympathique", voire un peu bête sûrement aussi. Du coup, je suis toujours surprise quand des amis ou des membres de ma famille remarquent que je suis là, m'appellent pour prendre des nouvelles (et non simplement me raconter leurs problèmes par le menu, sans vraiment écouter ce que je leur réponds, parce qu'au fond, ce n'est pas vraiment à moi qu'ils parlent) ou encore croient en moi. Ce sont des moments rares qui m'émeuvent jusqu'aux tréfonds de mon être car j'ai alors l'impression de prendre un peu de couleurs, d'exister finalement. Le plus souvent, cependant, c'est dans l'indifférence que je me construis et lorsque j'ai l'impression de tisser des liens, je m'aperçois qu'en fait, ce sont des mirages qui n'attendent qu'un coup de vent pour s'envoler. 

La majeure partie des gens ne me prennent pas au sérieux pour une raison que j'ignore mais qui est sûrement en lien avec l'image que je renvoie. C'est l'une des raisons pour lesquelles je ne parle presque jamais de l'Autre et de ma période anorexique. Pour éviter d'entendre des commentaires comme ceux que je présentais dans Le poids des mots, des remarques qui sont comme autant d'ongles grattant une plaie qui ne cicatrisera jamais vraiment. Le doute dans le regard des gens qui m'observent de pied en cap et qui expriment sans aucune subtilité que je n'ai vraiment pas le corps d'une anorexique n'est pas une sinécure. C'est vrai: je ne suis pas décharnée et je ne me promène pas avec un soluté. En même temps, cela fait plus de six ans que j'ai repris le dessus sur l'Autre mais il semblerait que pour le commun des mortels, lorsque tu es anorexique, tu es maigre à vie ou bien tu meurs. Je me rappelle que lorsque j'avais 13 ou 14ans, alors que je commençais tout juste à sombrer dans la maladie, je voulais maigrir surtout pour que les gens arrêtent de me dire que j'étais grosse pour quelqu'un qui avait des TCA. À chaque fois que j'entends le traditionnel: "on dirait vraiment pas que tu as été malade. T'es sûre que tu l'étais vraiment?" j'ai des nausées et l'envie de déchirer ce corps qui est ainsi jugé. Mais je résiste parce que je sais que mes proches, mes amis et ma famille, ceux qui me connaissent pour ce que je suis et non comme une ombre de passage dans leur vie, je sais que ma rechute leur ferait du mal à eux.

Je ne suis pas sexy. Je ne suis pas maigre. Mais je ne suis pas non plus une gentille fille qui n'attendrait que le vent pour s'envoler. Parfois, être l'image de soi, ça donne envie de devenir vraiment associable. Pour vrai. Pour ne jamais se rendre compte que, pour la majorité de ce monde, on n'existe pas vraiment. Remarquez, cela rend d'autant plus précieux l'amitié et l'amour de ceux qui nous entourent et nous soutiennent dans un monde qui ne nous appartient plus.

2 février 2011

"L'Histoire est en marche".

"L'Histoire est en marche", clament depuis quelques jours tous les journalistes occidentaux. Et pour cause, ce n'est pas tous les jours que nous assistons (même si cette notion reste très vague lorsque c'est par télévision ou radio interposées) à des révolutions en chaîne. Il était déjà incroyable de voir un pays tout entier,  la Tunisie, poussé par la faim et la pensée qu'il n'avait plus rien à perdre, prendre la rue pour demander la démission de leur "président"- à la tête du pays depuis près de 30ans. La détermination d'un peuple qui aspire à se démettre de ses chaînes, uni dans l'adversité, est beaucoup plus impressionnante que n'importe quel autre mouvement politique. C'est un cri du cœur qui motive les manifestants et c'est ce désespoir face à l'injustice qui incitent ceux qui ont déjà touché le fond à remonter d'un coup de talon. 

Le mouvement était, d'ailleurs, à ce point convaincu qu'il s'est répandu telle une traînée de poudre et les journalistes ne savent plus où donner de la tête: depuis que les Tunisiens ont obtenu gain de cause, tous les regards se sont rivés sur l'Egypte et le Yémen, où la révolte gronde à son tour. Une moitié de la planète s'aperçoit alors que d'autres pays, dont on connaissait jusqu'ici l'existence grâce aux catalogues touristiques, ont fait le choix de se battre pour leur avenir et on sent un petit frisson nous parcourir l'échine. Comme si ce désir de liberté venait chatouiller notre fibre révolutionnaire trop longtemps endormie, qui nous fait préférer, le plus souvent, le bougonnement en petits groupes à l'union nationale de protestation. Face aux aspirations d'un peuple dans son entier qui n'hésite pas à braver la vindicte du pouvoir pour faire entendre sa voix, nous ne pouvons que nous incliner. L'Histoire, c'est aussi ces grands moments de conscience populaire qui se battent pour leur existence. Si l'avenir est incertain, il est déjà sûr que la Tunisie et l'Egype, tout au moins, auront écrit, de leurs propres mains, plusieurs pages de leur livre de vie. "L'Histoire est marche", en effet, et il n'appartient qu'à  ces peuples de la guider sur ces chemins brumeux d'avenir.