8 mai 2012

Le Québec cherche sa démocratie

Je n'ai pas écrit sur le conflit étudiant qui sévit ces jours-ci à Montréal. Pas que ça ne m'intéressait pas mais je ne voulais pas me poser en donneuse de leçons, n'appartenant pas (encore) à ce pays et sachant que je portais en moi tout un panel de valeurs sociales qui rendaient mon objectivité précaire - voire inexistante - dans ce dossier. En outre, beaucoup de monde a pris position sur cette question avec, parfois, beaucoup plus d'éloquence et de pertinence que je n'aurais pu le faire. Bref, je me suis longtemps contentée de suivre le dossier de loin. J'ai, cependant, envie de vous faire part d'une certaine inquiétude quant au traitement de ce que nous pouvons appeler "une crise sociale":

On va le dire d'emblée, comme ça, ce sera fait, je suis farouchement contre la hausse des droits de scolarité car j'estime que l'éducation est la clé d'une société en santé et maîtresse de ses choix. Certes, le fait de ne pas payer ses frais de scolarité ou de ne débourser qu'une faible participation pour suivre ses cours augmente "le risque" de voir des élèves papillonner à l'université et suivre plusieurs formations. Mais, selon moi, ce n'est pas un mal: d'une part, on a toujours des choses à apprendre et, d'autre part, la personne qui a décidé d'étudier à vie toutes les matières de l'université se prépare à vivre chichement et à voir sa retraite diminuer comme peau de chagrin: bref, inutile de crier au gaspillage, l'étudiant moyen ne devrait pas passer ses vingt prochaines années à l'université simplement parce que c'est presque gratuit... Pour ma part, je n'ai quasiment rien payé pour mes études (sauf pour mon doctorat réalisé au Québec qui m'a coûté plus cher que les cinq premières années d'université en France) mais j'étais pressée d'avoir un emploi pour arrêter de vivre en comptant mes cens noires! (Avant tout commentaire: oui j'ai travaillé en même temps que mon université mais non, je n'avais pas de quoi me payer le dernier Ipad top-génial-méga-révolutionnaire!) Après, je suis parfaitement d'accord que c'est avant tout un choix de société, donc une décision politique, de consacrer le budget nécessaire à la gratuité scolaire plutôt qu'aux mesures fiscales supposées encourager les entreprises à venir s'installer ici ou autres. Pour ma part, mon choix est clair mais, je le répète, je ne prendrai vraiment position que lorsqu'on m'aura octroyé le droit de vote car cela voudra dire que je peux choisir dans quelle société j'ai envie de vivre. 

Bref, ici, je projetais plutôt de m'offusquer sur le traitement démocratique de cette crise, et non de débattre de mon opinion personnelle sur la hausse des frais de scolarité. Voyez-vous, on a tendance à se flatter en tant que pays "riches" de la qualité de notre système de gouvernance: contrairement aux méchants chinois, iraniens, syriens, etc. nous, le peuple, on l'écoute. Je suis d'accord que nous avons encore la chance de ne pas avoir de militaires qui nous canardent avec des tanks depuis un an, dans la quasi-indifférence internationale. Je seconde la chroniqueuse Rima Elkouri lorsqu'elle dit que cette crise ne peut pas vraiment être associée aux printemps arabes, tant la violence envers les manifestants demeure moindre. Il faut appeler un chat, un chat, en temps de crise, et ne pas confondre un fossé avec un ravin.  Ceci étant dit, je ne vois pas non plus la gestion de cette crise sociale comme étant démocratique: aucun pays "riche" qui se targue d'être un modèle pour les autres pays ne devrait avoir de manifestant éborgné parce que personne n'est capable de calmer les esprits échauffés. Alors, oui, la Police agit stupidement en visant les manifestants et en suscitant la violence parmi les foules, au risque de blesser gravement des gens qui font usage de leur droit le plus fondamental dans une démocratie: manifester. En dépit de ce que les gentils citoyens ont à redire sur les manifestants qui dérangent leur confort, protester en toute impunité est légitime dans une démocratie: c'est sain. Si ces gentils citoyens ont un jour des revendications parce que, par exemple, une entreprise de gaz de schiste viendra forer dans leur jardin, ils seront bien contents d'avoir le droit de manifester! Et ils verront qu'eux aussi, ils sont gangrénés par des gens pour qui tout mouvement de foule signifie "autorisation de tout casser". Oui, c'est nul mais ça ne doit pas cacher le fondement de la protestation, le message des manifestants. Ça ne doit surtout pas être un droit pour lyncher le groupe au risque d'en éborgner un participant. A vingt ans, on a des convictions à défendre: je pensais qu'on avait la chance de pouvoir le faire dans un pays libre comme le Canada. Je m'étais trompée.

Le plus grand responsable de cette crise, selon moi, c'est le gouvernement: la nervosité des deux camps - police et manifestants - n'est imputable qu'à la longueur de la crise qui n'est due, elle, qu'à l'incompétence d'un gouvernement corrompu qui prend les Québécois pour des imbéciles. Parce que personne ne doit être dupe de ces jeux de cache-cache qui ne visent qu'à attiser la colère des gentils citoyens envers les méchants étudiants afin de pouvoir se présenter en sauveur quand tout le monde sera excédé et, par la même occasion, lancer des élections pour pouvoir jouer au petit tyran pendant cinq ans de plus. Mais les gens ne sont pas si idiots: il aurait dû suivre la campagne présidentielle française, Jean Charest, il aurait vu que prendre les foules pour des chèvres, ça ne marche pas. Sarko a tenté, ces derniers mois, de se poser en président du peuple, en sauveur de la Crise. Il a failli réussir d'ailleurs: la victoire de Hollande n'est pas si large. Mais l'important est qu'il a échoué: les gens n'oublient pas si vite les abus de pouvoir, la corruption, le copinage, le niaisage. Et aucun pouvoir au monde ne vaut qu'on piétine à ce point la démocratie. Aucun poste de premier ministre ne justifie qu'un étudiant soit borgne et défiguré à jamais. Aucun entêtement ne devrait avoir le dessus sur le message d'un peuple à son représentant. Aucun. Là, ce à quoi nous assistons, c'est à la torture d'une démocratie: on bafoue le droit de revendiquer, on crache sur ceux qui ont élu un premier ministre et on se prend pour un roi. Mais les Rois ont tendance à mal finir dans l'Histoire et, à la place de Monsieur Charest, je relirai celle de Louis XVI et de sa femme, tellement déconnectés des besoins de leur peuple qu'ils ont fini sans tête. C'est une image bien-sûr mais il se pourrait (et je l'espère) que, cette fois, le pari de ses élections soit perdu d'avance s'il ne prend pas en compte la capacité à réfléchir de ses électeurs.