9 février 2011

L'image de la transparence

-"Ouin, en même temps, c'est normal que tu ne sois pas invitée aux party. T'es pas sexy."

Tiens. Je crois que je viens de perdre deux dents. Vous me direz, c'est indéniable: avec ma hantise du maquillage et mon amour inconditionnel pour les jeans, je ne peux incarner l'archétype de la, passez-moi l'expression, "bonnasse". Il n'empêche que c'est un peu comme dire à quelqu'un qu'il est gros: même s'il le sait déjà, ça va lui faire mal et je ne vois pas comment celui qui lui fait partager ce constat peut ne pas s'en rendre compte. Il n'y a absolument aucun contexte, aucune tournure de phrase, aucune conversation qui peut laisser supposer que dire à quelqu'un qu'il est gros ne le blessera pas. Ben, en l'occurrence, c'est un peu pareil. Je ne suis pas sexy, certes, (et c'est entièrement de ma faute vu que je n'ai pas encore trouvé l'intérêt de passer une heure de plus dans la salle de bain à me battre avec un fard à joue) mais ce n'est pas nécessairement une raison pour me le lancer  dans la conversation comme si c'était un fait acquis, avéré et accepté. À fortiori, il est d'autant plus déplacé de se servir de ce constat pour justifier mon apparente inexistence aux yeux des autres. Remarquez, c'est pas comme si j'étais vraiment vexée de ne pas avoir été invitée - surtout si être sexy était le principal critère pour l'être - mais c'est comme une preuve supplémentaire de mes qualités en tant qu'être invisible, fade et dont la compagnie n'est ni recherchée, ni même imaginée. C'est un peu, finalement, comme si je m'étais fondue dans une masse informe dont la caractéristique première est l'indifférence car rien ne me distingue des autres. Bon, en fait si, je suis vexée comme un pou de n'être qu'une ombre qu'on ne remarque pas alors que je côtoie ce milieu depuis plus de deux ans et que je m'y suis, stupidement je le reconnais, attachée.

Ce n'est pas très grave, dans les faits. Au fond, ce n'est pas comme si je n'avais pas l'habitude. À force d'être la "petite fille gentille et timide", je finis par disparaître de la conscience des gens sans qu'ils ne s'en rendent compte. Si l'on ne me connaît pas assez, on se contente de me trouver "sympathique", voire un peu bête sûrement aussi. Du coup, je suis toujours surprise quand des amis ou des membres de ma famille remarquent que je suis là, m'appellent pour prendre des nouvelles (et non simplement me raconter leurs problèmes par le menu, sans vraiment écouter ce que je leur réponds, parce qu'au fond, ce n'est pas vraiment à moi qu'ils parlent) ou encore croient en moi. Ce sont des moments rares qui m'émeuvent jusqu'aux tréfonds de mon être car j'ai alors l'impression de prendre un peu de couleurs, d'exister finalement. Le plus souvent, cependant, c'est dans l'indifférence que je me construis et lorsque j'ai l'impression de tisser des liens, je m'aperçois qu'en fait, ce sont des mirages qui n'attendent qu'un coup de vent pour s'envoler. 

La majeure partie des gens ne me prennent pas au sérieux pour une raison que j'ignore mais qui est sûrement en lien avec l'image que je renvoie. C'est l'une des raisons pour lesquelles je ne parle presque jamais de l'Autre et de ma période anorexique. Pour éviter d'entendre des commentaires comme ceux que je présentais dans Le poids des mots, des remarques qui sont comme autant d'ongles grattant une plaie qui ne cicatrisera jamais vraiment. Le doute dans le regard des gens qui m'observent de pied en cap et qui expriment sans aucune subtilité que je n'ai vraiment pas le corps d'une anorexique n'est pas une sinécure. C'est vrai: je ne suis pas décharnée et je ne me promène pas avec un soluté. En même temps, cela fait plus de six ans que j'ai repris le dessus sur l'Autre mais il semblerait que pour le commun des mortels, lorsque tu es anorexique, tu es maigre à vie ou bien tu meurs. Je me rappelle que lorsque j'avais 13 ou 14ans, alors que je commençais tout juste à sombrer dans la maladie, je voulais maigrir surtout pour que les gens arrêtent de me dire que j'étais grosse pour quelqu'un qui avait des TCA. À chaque fois que j'entends le traditionnel: "on dirait vraiment pas que tu as été malade. T'es sûre que tu l'étais vraiment?" j'ai des nausées et l'envie de déchirer ce corps qui est ainsi jugé. Mais je résiste parce que je sais que mes proches, mes amis et ma famille, ceux qui me connaissent pour ce que je suis et non comme une ombre de passage dans leur vie, je sais que ma rechute leur ferait du mal à eux.

Je ne suis pas sexy. Je ne suis pas maigre. Mais je ne suis pas non plus une gentille fille qui n'attendrait que le vent pour s'envoler. Parfois, être l'image de soi, ça donne envie de devenir vraiment associable. Pour vrai. Pour ne jamais se rendre compte que, pour la majorité de ce monde, on n'existe pas vraiment. Remarquez, cela rend d'autant plus précieux l'amitié et l'amour de ceux qui nous entourent et nous soutiennent dans un monde qui ne nous appartient plus.

4 commentaires:

  1. C'est quoi ces "party" de gens sexy? Il y a une sélection pour participer? C'est un rassemblement de personnes au physique avantageux? C'est comme pour les vaches dans un concours agricole en bref! La plus belle bête gagne quoi? Une saillie peut être.

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  2. Pas officiellement mais c'était une des hypothèses de mon interlocutrice pour justifier ma non-invitation à la fête. ^_^ M'enfin, si on voulait être mesquin, on pourrait, en effet, trouver quelques similitudes avec les concours agricoles! ;)

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  3. De toute façon vous êtes très jolie sur la photo en haut à droite ! et en plus vous êtes super intéressante! vous écrivez sur divers sujet.... la classe quoi :) "sexy" serait plutôt dégradant pour vous!
    Ce sujet me rappelle mes années lycée où je me prenais quelques réflexions sur ma superbe plastique :). Du coup je n ai pu integrer le clan des rugbymans et de leurs bimbos, j étais dans le clan des "marginaux" (gothique, rasta, homo, gros,QI de -10, maigre, blanc, bleu vert.....) Nous étions une brave équipe tous différents mais tous intéressants. J ai gardé beaucoup d'amis de cette époque.

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  4. Héhéhé! Merci! :) Mais vous avez entièrement raison: ne pas rentrer dans la catégorie du physique impeccable permet de construire de plus solides amitiés, qui se fondent sur des atouts plus durables que la beauté.

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