14 février 2011

Projet Andromaque: le fourvoiement d'une mise en scène.

Personnellement, le théâtre est un art qui me fait vibrer. J'aime autant le lire que le voir jouer mais idéalement, j'imagine, il serait mieux de ne pas lire et assister à la même pièce - ou en tout cas, pas en ayant lu le livre en premier. En effet, lorsqu'une œuvre est ainsi adaptée à la scène, alors qu'elle est déjà imprimée dans votre esprit, il faut beaucoup de travail au Hasard pour que vous ne soyez pas déçu par la mise en scène. Inéluctablement, en lisant la pièce originale, vous aviez conçu un environnement, une façon de jouer et de déclamer les répliques qui ne se retrouveront pas dans l'imaginaire du metteur en scène - à moins que vous ne partagiez le même imaginaire. Hier soir, en assistant à Projet Andromaque, j'ai pu, une fois de plus, constater cette triste réalité du théâtre.

Notez que je ne remets pas en question la qualité du spectacle: j'aimais beaucoup la pièce de Racine donc je ne pouvais être déçue par le texte. En outre, grâce à mes presque 10ans de latin, je suis quand même bien informée sur l'histoire de la Guerre de Troie, de ses héros et des vaincus: les personnages m'étaient familiers et je connaissais leurs dilemmes. À leur personnalité tourmentée, les acteurs ont su donner vie et consistance. Pourtant, j'ai été excessivement déçue par la mise en scène, qui se voulait sûrement (trop) moderne et épurée. Pour situer ceux qui ne connaitraient pas Andromaque de Jean Racine, il s'agit, globalement, d'une tragédie amoureuse entre les survivants de la Guerre de Troie - ce fameux conflit raconté dans l'Illiade où les Grecs viennent mettre à feu et à sang la dite ville afin de récupérer la femme de Ménélas, Hélène, qui a été enlevée par Pâris, fils de Priam et prince de Troie. Hector, frère de Pâris et mari d'Andromaque, est le Héros de Troie mais il va périr sous les coups d'Achille, qui traînera son corps derrière son char tout autour de la ville, afin de complèter l'humiliation. Vaincue, Troie tombe et les Grecs se partagent les restes: Pyrrhus (Néoptolème en grec), fils d'Achille, emmène Andromaque, femme d'Hector, tandis que Ménélas le fiance à la fille d'Hélène, Hermione, pour le récompenser de ses efforts de guerre. Voilà, le décor est planté, la pièce peut donc commencer. 

Racine présente la situation sous forme de triangle amoureux: Pyrrhus aime Andromaque, qui ne désire que sauver son fils, vestige d'Hector. Or Pyrrhus est promis à Hermione, qui l'aime intensément, alors qu'elle est elle-même aimée d'Oreste, son cousin. Dans son adaptation, Serge Denoncourt a cherché la modernité dans une histoire d'un autre temps et ce n'était pas, à mon sens, très heureux. Entre chaque moment tragique, il a intercalé des intermèdes musicaux, un genre de techno trop forte, durant lesquels les personnages faisaient n'importe quoi. J'imagine que c'était supposé illustrer la confusion des esprits d'amoureux qui se déchirent mais, dans les faits, cela semblait sorti de nulle part et coupait tout l'effet tragique de l'instant. À cela s'ajoute le décor par trop épuré: la pièce commence avec une immense table autour de laquelle s'assoient tous les personnages, donnant l'impression que l'on va assister à une lecture de texte en bonne et due forme. Cette table sera l'unique décor: que les personnages la séparent en deux, y montent dessus, se cachent dessous, elle demeure au centre de toutes les actions. Aucun personnage ne disparaît jamais de la scène, se contentant d'être en retrait par rapport aux autres, qui les regardent lorsqu'ils parlent d'eux. Cela donne une impression un peu confuse de la situation.

Ce qui sauve la pièce est, sans nul doute, le jeu d'acteur qui est excellent. Anne Dorval ne faillit pas à sa réputation, de même que François-Xavier Dufour et tous les autres. Ils interprètent avec talent les textes de Racine pour nous en faire partager l'émotion et la tension. Il est dommage, selon moi, que la mise en scène ait cherché à donner trop de modernité à une pièce qui, par son texte seul, avait déjà ses lettres de noblesse. Peut-être aurais-je plus apprécié si je n'avais pas lu l'oeuvre originale avant mais encore là, je n'en jurerais pas!

2 commentaires:

  1. "Projet Andromaque" c'est l'ancêtre "des feux de l'amour" avec un peu plus d'action! Vous avez une culture incroyable! Je me sens naze!
    Moi qui ne lis jamais, j ai les yeux qui séchent à force de lire vos articles sur l'écran! Et j'ai pas tout lu! Vous allez encore avoir droit à mes commentaires futiles!

    RépondreSupprimer
  2. Merci beaucoup pour vos commentaires: lorsqu'on a envie de prendre le temps d'en rédiger, cela implique que mon texte vous a touché, d'une manière ou d'une autre, et c'est excessivement flatteur pour moi qui aime écrire! Aucun commentaire n'est jamais futile!^-^

    Les tragédies grecques et classiques n'ont, en effet, rien à envier aux séries américaines riches en errements amoureux. Elles sont même beaucoup plus riches en émotions - ça vaut le coup de les lire! ;) Je n'ai pas tant de culture que ça mais j'aime beaucoup lire et découvrir. Dans le fond, je suis surtout curieuse! ^-^

    Merci encore pour vos commentaires!

    RépondreSupprimer