Je le craignais. Je le redoute tous les jours avec autant de force que mes cauchemars nocturnes. Je ne parviens jamais à m'en protéger totalement. Le poids des mots. Des mots à priori si insignifiants pour qui les prononce mais plus douloureux qu'un coup dans l'estomac pour qui les reçoit. Ces mots, prononcés distraitement, parce que, de toute façon, je suis guérie: je suis loin d'être maigre, je mange mal, je ne parle plus de mes angoisses liées à mon physique. Il est évident pour tout le monde que je suis guérie. Un peu comme le rhume: une fois que tu n'as plus le nez qui coule, on n'a plus besoin de faire attention. Tout est terminé...
-" Ta soeur est vraiment fine." "On ne dirait pas que tu as été anorexique, toi." "Tu n'es pas maigre"...
Toutes ces phrases qui ne se veulent rien d'autre que ce qu'elles sont me renvoient pourtant à ce que j'ai eu tant de mal à fuir. Cette adolescence sombre et vide où j'avais le sentiment d'être une pâle copie ratée de ma soeur, où je n'avais trouvé comme seule solution pour exister que de disparaître. Ces phrases m'y replongent. J'ai honte de raconter que j'ai été anorexique pendant près de sept ans notamment parce que je sais que j'aurais droit à une remarque de ce style:
-"Ah bon? On dirait vraiment pas!" ou " Tu es pourtant loin d'être maigre!"
Comme s'il fallait que je montre mes prises de sang pour montrer mes carences ou que je garde quelques parties de mon corps squelettiques pour prouver mes dires! Je n'aime pas cette partie de ma vie, j'abhorre l'être que j'étais devenue et la souffrance que j'ai infligé à ceux qui me sont chers. Mais je n'y peux rien désormais: elle fait partie de moi et je garde encore des séquelles de cette obscure période. Mes proches savent la douleur et la fragilité qui en résultent, ce qui crée parfois des situations étranges où ils montent au créneau pour me protéger de remarques, à priori, insignifiantes. Mais la plupart des personnes, même parmi mes amis, ignorent tout de l'acide que ces petites phrases distillent dans mon corps. Et je ne dis rien. Je souris en hochant la tête: je sais que je suis loin d'être maigre, je sais que ma sœur a l'air malade, je sais que j'ai l'air de ne rien faire pour l'aider. Je ne dis mot mais j'ai envie de hurler. J'ai envie de me terrer dans un coin et de me laisser dessécher jusqu'à ce que mort s'ensuive. Car elle ressort, elle, l'Autre, celle qui a régi ma vie durant plus de sept ans, afin que je ne devienne, littéralement, plus qu'une ombre. Elle continue de vivre en moi, même si j'ai l'air en pleine santé, et elle n'attend que ces remarques pour appuyer sur une plaie qui ne cicatrisera jamais vraiment. Mais je suis guérie, n'est ce pas? J'ai un poids santé, je suis guérie, j'ai un poids santé, je suis guérie, j'ai un poids santé, je suis guérie...
Alors, pourquoi je me réveille encore en pleurs après ces remarques? Pourquoi j'ai aussi mal à l'intérieur? Pourquoi j'ai l'impression de glisser à nouveau dans l'ombre, de redevenir ce non-être de mon adolescence? Pourquoi je me surprends encore à compter les calories, à regarder avec dégoût ce corps qui est le mien?
Ces petites phrases qui ne sont rien hantent ma vie. Je sais qu'elles ne se veulent pas méchantes ni même un indice que je suis grosse. Mais elles brisent ma fragile carapace. Peut-être devrais-je achever ce livre sur mon petit Enfer adolescent personnel afin de véritablement tourner la page et ne plus laisser ces insignifiances, à ce point, bouleverser mon être... Je publierai peut-être un extrait, lors d'un prochain billet. Il faudra bien que j'avance...
Gigi: J'adore tous vos sujets, mais ce sont ceux sur votre vie que je préfère! Peut être parce que je me reconnais sur certains passages ! C’est tellement bien exprimé que ça me met la chair de poule ! :)
RépondreSupprimerJe suis très heureuse que mes mots vous rejoignent: ils n'en deviennent qu'un peu plus vivants!
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