12 août 2010

De l'insignifiance de certains regrets pourtant si douloureux.

Bientôt vingt-huit ans. Il paraît que ce qui nous fait vieillir, ce n'est pas le temps qui passe, c'est le poids des regrets qui s'accumule. Je dois être quand même un peu vieille. Des regrets, j'en ai de toutes les sortes: des gros, des petits, des rouge-sang, des noirs-ténèbres. C'est un peu comme une collection, mais une collection pas le fun, mettons. Parce qu'un regret a une vie propre. Je veux dire: ce n'est pas parce qu'il vient de se poser sur votre épaule, avec les autres, qu'il va se contenter de faire une sieste en vous fichant la paix. Non, ce serait la honte, pour un regret, de ne pas nous faire regretter régulièrement. Il est toujours là pour gratter la croûte et être certain que votre plaie ne cicatrise jamais complétement. Puis, comme ils s'en viennent pas mal nombreux sur mes épaules, ils se relaient: toujours un au poste pour raviver telle ou telle douleur, de l'insignifiante à celle qui vrille votre estomac douloureusement. Aujourd'hui, je vais vous conter le regret qui vous paraîtra, certainement, la plus insignifiant de tous et qui, pourtant, continue de me hanter avec plus ou moins de vigueur. 

Je suis une fille un peu quétaine alors j'ai un petit gargantuesque sentiment d'affection envers pas mal tous les animaux du monde. (Jules refuse encore d'adopter un ours polaire mais il va craquer, je le sens bien!). Question de proximité et d'accessibilité peut-être, j'ai une nette préférence pour les chiens. A peine perceptible pour le commun des mortels, attention: entre mes cris de gamine de quatre ans devant tous les autres animaux, il est difficile de déterminer lequel est mon favori. Mais c'est un fait: les chiens, les gros et pantouflards chiens, c'est la compagnie animale que je préfère. Il y a huit ans maintenant, j'en ai eu un. Bounty que je l'ai appelé. Enfin, après une semaine: il s'est d'abord appelé Frosties, Locke, Frimousse et j'en passe. Bref, Bounty lui est resté. (En dehors de ses douze surnoms et diminutifs, bien-sûr). Mon Bounty, c'est un Golden Retriever et il gagnerait des prix s'il existait un concours du chien le plus feignasse sur cette planète. Pour vous donner une idée, lorsque je voulais aller le promener avant d'aller travailler, le matin, alors que la nuit avait du mal à s'en aller, il refusait tout simplement de sortir dans le noir. Trop tôt, qu'il semblait penser le chien-pantoufle, en retournant se coucher dans un soupir. Bref, Bounty, je l'ai gardé un an et demi avec moi. Puis (attention, mon regret s'en vient!) je suis partie un an (en tout cas, c'était ce qui était prévu) au Québec, en échange universitaire. J'ai hésité à le prendre et puis j'ai eu peur de lui faire prendre l'avion. Bête peur que je regrette aujourd'hui. Un an, me disais-je, c'est vite passé et je savais que mon papa en prendrait soin. 

Oui mais voilà: un an plus tard, je retournais au Québec et mon papa me fit remarquer que ce serait égoïste de traîner mon chien là-bas, alors que je revenais l'année suivante. Je cédais.  Phase deux de mon regret d'aujourd'hui. Je l'ai récupéré l'année suivante, à Paris, mais il était trop tard. Mon papa, pour diverses raisons qui lui sont personnelles, ne souhaitait pas que je le reprenne. Du coup, il ne cessait de dire que mon chien était malheureux avec moi à Paris, que chez lui, c'était dans le sud, là où il pouvait courir librement dans les champs. Objectivement, sa vision se défendait: j'étais partie deux ans, Bounty s'était habitué à la liberté (quoiqu'il n'est pas non plus un monstre de dynamisme et qu'il continue à dormir plus souvent qu'autre chose) et le prendre avec moi était égoïste. Bref, le temps a passé ainsi et aujourd'hui mon chien a huit ans et n'est plus vraiment mon chien. Enfin si, il l'est dans mon cœur mais pas dans les faits. Assez curieusement, il me manque beaucoup. Au fond, tout cumulé, j'aurais passé trois ans avec lui mais une semaine, un jour, une heure m'avait suffi pour m'attacher. Mon regret, c'est de ne pas l'avoir emmené avec moi la première année. Si je l'avais pris, il serait toujours avec moi et non pas "heureux avec quelqu'un d'autre". Je m'exprime peut-être mal. Je suis sûrement égoïste de penser ça parce que, finalement, c'est à moi qu'il manque. Lui semble parfaitement heureux. Au bout de tant d'années, vous pensez, je ne suis pas grand chose dans ses souvenirs. Au fond de moi, je sais que mon papa n'a pas eu conscience de ce qu'il me disait, qu'il pensait sincèrement que mon chien était plus heureux avec (et rendait plus heureux) la personne qui le gardait plutôt qu'avec moi et ma vie de nomade. Mais, bêtement, j'ai l'impression d'avoir perdu un bout de moi et ma grosse boule de poils me manque souvent. Aujourd'hui par exemple.

Alors, vous voyez, ça, c'est un regret quétaine, en apparence. Ce n'est pas un regret qui aurait changé le monde et le fait de ne pas prendre mon chien dès le premier voyage n'aurait pas sauvé des vies. C'est comme ça. C'est presque bizarre de se sentir malheureuse pour ça, non? Pourtant, Bounty me manque. Et si c'était à refaire, je ne referais pas comme ça.  Mais il est trop tard, maintenant. Comme quoi, l'importance des choses est relative, elle aussi.

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