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11 janvier 2011

La bonne année des fantômes de nos vies!

Il n'y a pas si longtemps, le mois de janvier était le moment dans l'année où je prenais des nouvelles ou envoyais des petites cartes aux amis et connaissances avec lesquels je n'avais aucun contact le reste du temps. Une sorte de bouteille à la mer en souvenir du passé et des moments heureux passés ensemble. À l'époque, j'usais de la lettre ou, encore plus prosaïquement, du texto, au nombre de caractères limités. Ça évite de commencer à écrire sur des feuilles format A4 en se demandant ce qu'on va écrire après la cinquième phrase. C'est un peu étrange quand on y pense: si nous n'avons, à ce point, rien à nous dire, à quoi bon maintenir un contact annuel, à l'occasion de la Nouvelle Année? Peut-être pour ne pas abandonner le temps qui est déjà passé, peut-être pour ne pas admettre que tant de pages de notre vie se sont tournés au point que nous n'avons, désormais, que le premier de l'An en commun. C'est un peu le reproche Facebook: on est content de retrouver des anciens amis et de savoir qu'ils sont à présent mariés deux fois avec quatre enfants et un chiot Labrador. Mais après? Une fois l'information prise, on serait tenté de supprimer ce nouvel "ami" jusqu'à l'année prochaine, comme on le faisait pour les cartes de Nouvel An. 

Cette année, je n'ai presque pas écrit de cartes et, surtout, je n'en ai envoyé aucune à ces fantômes du passé. Je me demande si c'est un signe que j'ai enfin accepté que ces étapes de ma vie sont terminées et que ce n'est pas parce que je saurais que Léopolod s'est enrôlé dans la Légion que je serai plus ou moins satisfaite de ma propre existence. Nos routes se sont séparées il y a bien longtemps et nous ne sommes pas plus proches, désormais, que je ne le suis du gérant de mon épicerie. Alors je n'écris plus. Sur Facebook, je supprime des contacts avec lesquels je n'avais parfois échangé qu'une seule phrase pour savoir ce qu'ils devenaient et puis, plus rien. Parce que, parfois, il faut avoir été très proches pour parvenir à conserver suffisamment d'intérêt dans le devenir de son prochain: si je m'étonne que la personne qui me demande comme "ami Facebook" se rappelle (voire connaisse) mon nom de famille, c'est que nous n'étions pas si liés que ça. Bref, cartes, textos ou courriels, j'ai arrêté la curiosité passéiste. C'est sans doute mon unique résolution, qui n'en est d'ailleurs pas une, de cette année. 

Notez, je ne prétends pas que ce soit mieux de lâcher ces bouts de nous qui ont participé à nous construire tel que nous sommes aujourd'hui. Simplement, face à un processus étrange de maintien de liens, somme toute, artificiels, je suppose qu'il ne s'agit dans les faits que d'un moyen pour regarder sa vie par le prisme de celle d'un autre. Un genre de voyeurisme égocentrique qui nous pousserait à vouloir savoir ce que des êtres dont nous n'étions pas ou ne sommes plus proches ont fait de leur vie afin de, inconsciemment, la comparer à la nôtre. J'avoue, par exemple, que je regarde parfois ce que deux des principaux cauchemars de mon adolescence sont devenus aujourd'hui: en toute objectivité, étant donné le souvenir hautement négatif qu'ils m'ont laissé, je doute que ma curiosité soit dénuée de cet intérêt revanchard qui voudrait que l'ennemi d'autrefois constate ce que je suis devenue par rapport à lui. Autre exemple mais moins évident: lorsqu'on retrouve une personne avec laquelle on s'entendait bien et que l'on constate qu'elle va bien, on est content pour elle mais n'est-on pas, déjà là, en train de juger et de comparer sa vie à la nôtre? Je m'explique: ce n'est pas avec des liens de types Facebook ou la carte annuelle que nous allons échanger de vrais sentiments. Donc l'individu va chercher à donner un aperçu le plus positif possible de sa vie afin d'éblouir son correspondant, avec qui il n'a de toute façon plus suffisamment de liens pour lui dire qu'il est en dépression depuis six mois. Le destinataire, pour sa part, ne saurait pas quoi faire avec cette information et préfère recevoir un rapport mécanique de la vie de ce vestige d'amitié.  Il peut ainsi le juger selon ses propres critères de "réussite" et déterminer le degré de bonheur de son correspondant par rapport à lui. Bref, derrière l'information polie, il semble toujours y avoir un relent de condescendance.

Or, ce type de lien n'est, à mon sens, ni sain ni nécessaire à la construction d'un individu. Bien sûr, ce n'est pas forcément la quantité de lettres échangées qui fait la force du lien d'amitié entre les êtres: je n'écris pas souvent à mon frère ou à ma cousine, par exemple, et pourtant je sais qu'ils sont là et importants pour moi. Mais nous en revenons à la prémisse mise en place au départ: il faut avoir une relation de départ très solide pour supporter des longs silences  et se retrouver comme si jamais ils n'avaient existé. J'ai la chance de vivre cela avec mes Faraham ou avec ma famille. À quoi bon traîner le poids de ceux avec lesquels je n'ai plus de liens depuis longtemps, quand bien même ce ne serait que pour une carte annuelle? La politesse est parfois le nom de code de l'hypocrisie.

12 août 2010

De l'insignifiance de certains regrets pourtant si douloureux.

Bientôt vingt-huit ans. Il paraît que ce qui nous fait vieillir, ce n'est pas le temps qui passe, c'est le poids des regrets qui s'accumule. Je dois être quand même un peu vieille. Des regrets, j'en ai de toutes les sortes: des gros, des petits, des rouge-sang, des noirs-ténèbres. C'est un peu comme une collection, mais une collection pas le fun, mettons. Parce qu'un regret a une vie propre. Je veux dire: ce n'est pas parce qu'il vient de se poser sur votre épaule, avec les autres, qu'il va se contenter de faire une sieste en vous fichant la paix. Non, ce serait la honte, pour un regret, de ne pas nous faire regretter régulièrement. Il est toujours là pour gratter la croûte et être certain que votre plaie ne cicatrise jamais complétement. Puis, comme ils s'en viennent pas mal nombreux sur mes épaules, ils se relaient: toujours un au poste pour raviver telle ou telle douleur, de l'insignifiante à celle qui vrille votre estomac douloureusement. Aujourd'hui, je vais vous conter le regret qui vous paraîtra, certainement, la plus insignifiant de tous et qui, pourtant, continue de me hanter avec plus ou moins de vigueur. 

Je suis une fille un peu quétaine alors j'ai un petit gargantuesque sentiment d'affection envers pas mal tous les animaux du monde. (Jules refuse encore d'adopter un ours polaire mais il va craquer, je le sens bien!). Question de proximité et d'accessibilité peut-être, j'ai une nette préférence pour les chiens. A peine perceptible pour le commun des mortels, attention: entre mes cris de gamine de quatre ans devant tous les autres animaux, il est difficile de déterminer lequel est mon favori. Mais c'est un fait: les chiens, les gros et pantouflards chiens, c'est la compagnie animale que je préfère. Il y a huit ans maintenant, j'en ai eu un. Bounty que je l'ai appelé. Enfin, après une semaine: il s'est d'abord appelé Frosties, Locke, Frimousse et j'en passe. Bref, Bounty lui est resté. (En dehors de ses douze surnoms et diminutifs, bien-sûr). Mon Bounty, c'est un Golden Retriever et il gagnerait des prix s'il existait un concours du chien le plus feignasse sur cette planète. Pour vous donner une idée, lorsque je voulais aller le promener avant d'aller travailler, le matin, alors que la nuit avait du mal à s'en aller, il refusait tout simplement de sortir dans le noir. Trop tôt, qu'il semblait penser le chien-pantoufle, en retournant se coucher dans un soupir. Bref, Bounty, je l'ai gardé un an et demi avec moi. Puis (attention, mon regret s'en vient!) je suis partie un an (en tout cas, c'était ce qui était prévu) au Québec, en échange universitaire. J'ai hésité à le prendre et puis j'ai eu peur de lui faire prendre l'avion. Bête peur que je regrette aujourd'hui. Un an, me disais-je, c'est vite passé et je savais que mon papa en prendrait soin. 

Oui mais voilà: un an plus tard, je retournais au Québec et mon papa me fit remarquer que ce serait égoïste de traîner mon chien là-bas, alors que je revenais l'année suivante. Je cédais.  Phase deux de mon regret d'aujourd'hui. Je l'ai récupéré l'année suivante, à Paris, mais il était trop tard. Mon papa, pour diverses raisons qui lui sont personnelles, ne souhaitait pas que je le reprenne. Du coup, il ne cessait de dire que mon chien était malheureux avec moi à Paris, que chez lui, c'était dans le sud, là où il pouvait courir librement dans les champs. Objectivement, sa vision se défendait: j'étais partie deux ans, Bounty s'était habitué à la liberté (quoiqu'il n'est pas non plus un monstre de dynamisme et qu'il continue à dormir plus souvent qu'autre chose) et le prendre avec moi était égoïste. Bref, le temps a passé ainsi et aujourd'hui mon chien a huit ans et n'est plus vraiment mon chien. Enfin si, il l'est dans mon cœur mais pas dans les faits. Assez curieusement, il me manque beaucoup. Au fond, tout cumulé, j'aurais passé trois ans avec lui mais une semaine, un jour, une heure m'avait suffi pour m'attacher. Mon regret, c'est de ne pas l'avoir emmené avec moi la première année. Si je l'avais pris, il serait toujours avec moi et non pas "heureux avec quelqu'un d'autre". Je m'exprime peut-être mal. Je suis sûrement égoïste de penser ça parce que, finalement, c'est à moi qu'il manque. Lui semble parfaitement heureux. Au bout de tant d'années, vous pensez, je ne suis pas grand chose dans ses souvenirs. Au fond de moi, je sais que mon papa n'a pas eu conscience de ce qu'il me disait, qu'il pensait sincèrement que mon chien était plus heureux avec (et rendait plus heureux) la personne qui le gardait plutôt qu'avec moi et ma vie de nomade. Mais, bêtement, j'ai l'impression d'avoir perdu un bout de moi et ma grosse boule de poils me manque souvent. Aujourd'hui par exemple.

Alors, vous voyez, ça, c'est un regret quétaine, en apparence. Ce n'est pas un regret qui aurait changé le monde et le fait de ne pas prendre mon chien dès le premier voyage n'aurait pas sauvé des vies. C'est comme ça. C'est presque bizarre de se sentir malheureuse pour ça, non? Pourtant, Bounty me manque. Et si c'était à refaire, je ne referais pas comme ça.  Mais il est trop tard, maintenant. Comme quoi, l'importance des choses est relative, elle aussi.