9 mai 2011

L'hivernement de nos étés.

Au début, on se dit que ce n'est rien, qu'il ne fait que passer et que, tôt ou tard, le froid hiver va reprendre son manteau blanc et s'en aller pour de bon. Comme tous les ans. On croit que, cette année, ce sera plus facile parce que bon, après six fois, on commence à le connaître: avec ses humeurs brumeuses et sa mine sombre, l'hiver est un habitué de la place. Et puis, au fil des mois, on finit par ne plus ouvrir les rideaux. À quoi bon? Le jour a à peine le temps de s'étirer qu'il doit déjà retourner se coucher pour laisser la place à l'obscure nuit froide. Sans un bruit, sans qu'on ne le soupçonne même, notre coeur se vide et s'éteint au fur et à mesure que l'hiver étend sa main sur la nature. Les arbres perdent leurs feuilles tandis que nous perdons le sommeil. La neige couvre de son grand manteau toutes les laideurs de la ville mais sa clarté nous renvoie nos angoisses comme une gifle en plein visage. Soudain, cet hiver qu'on croyait vagabond solitaire devient une armée silencieuse, à l'affût de la moindre de nos faiblesses. Tapi dans l'ombre, il nous contemple de toute sa froidure et semble attendre que notre coeur gèle et se brise en mille éclats de lumière. Scintillants, ils nous éblouiraient une dernière fois, avant de disparaître dans la blancheur de la neige.

Blanche-Neige. De la princesse aux cheveux de jais, il ne reste rien lorsqu'elle tombe du ciel. On dirait des millions de balles de coton qui glisseraient du sac d'un mystérieux cultivateur de nuages.Parfois, lorsqu'elle est bien froide, elle prend la forme d'une étoile de noël, celle qu'on dessinait, enfant, sur les vitres de nos maisons - sans bien savoir ce que c'était d'ailleurs. Lorsqu'elle s'accumule, elle se déguise en crème fouettée dans les jardins ou en épais édredon le long des trottoirs. Dans ces moments-là, il semblerait presque que le temps fait un bond en arrière pour laisser à l'enfant de 5 ans que je redeviens, le plaisir de toucher ces grandes étendues immaculées. À chaque fois, la fraction de seconde avant que mon doigt n'atteigne la neige, une part de moi semble croire que le contact sera doux, soyeux comme de la plume d'oie. Et puis, non. Il n'y a rien à faire: la neige, c'est froid et mouillé. C'est même douloureux lorsqu'on tombe dedans sans nos gants. En vérité, elle n'est qu'une grosse couverture qui borde les arbres afin qu'ils se reposent de leurs trois saisons de travail. Des belles feuilles à l'année longue, ça fatigue. Elle n'est pas là pour que nous prenions des bains dans des jardins de crème fouettée. Dommage.

Pour ma part, après quelques mois de cette sieste annuelle des arbres, j'ai l'impression d'avoir, moi aussi, perdu mes feuilles. La neige, noircie au bord des routes, ne me paraît plus aussi magique que la première fois qu'elle s'est allongée pour recouvrir tous les arbres du quartier. Faut avouer que la ville n'est pas le meilleur endroit pour apprécier l'hiver et ses vêtements. Elle-même l'a bien compris : aidée de kilos de sel et de sable, la neige n'attend pas l'été pour retourner dans les nuages. Le rude hiver s'en trouve bien mal pris: il doit repartir sans son manteau lorsqu'il reprend son tour du monde. Qu'il se rassure, cependant: avec ou sans la neige, il n'a pas à craindre qu'on l'oublie. Ce n'est, d'ailleurs, que lorsque le soleil réapparaît, brillant de mille feux et entourant délicatement chaque nouvelle feuille de sa chaleur, que la neige entourant mon coeur fond véritablement. 

Des journées comme aujourd'hui, où, si l'on prend le temps d'écouter, on peut entendre les oiseaux chanter et les bourgeons éclore, sonnent le glas du carcan glacé qui avait enveloppé notre être. Sans bruit, le sourire, presque disparu, s'installe à nouveau sur nos lèvres. Sans un mot, sans même le laisser deviner, le soleil de la fin du printemps nous réchauffe et nous enlève nos angoisses, pourtant confortablement installées après l'hiver. Cette année encore, la froide saison des neiges est vaincue. Déjà, on oublie à quel point elle a été longue. Déjà, on se dit que l'an prochain, ça ne sera rien de l'affronter à nouveau. Après tout, cette fois, ça sera le septième...

1 commentaire:

  1. Gigi: Cette année les saisons n’ont pas été régulières ; hiver assez doux puis direct été sans passer pas la case printemps ! (pas de giboulée de mars , le paysage est jaune, température jusqu’à 30° certains jours d’avril, les céréales sont minuscules tous les fruits et les légumes ont 2 à 3 semaines d’avance, le voisin barbotte dans ça piscine !).
    À choisir je préfère ton hiver froid et déprimant que notre paysage de sécheresse. En plus c’est superbement écrit, ça donne bien l’ambiance.

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