Oui, le titre est étrange. Mais vous allez comprendre: depuis quelques mois, je pouvais assister à la lente et douloureuse mort d'une de mes dents. Lorsque le trou créée par la carie est visible, cela augure mal. Autant le dire tout de suite, pour ce qui est des dentistes, je suis loin d'être originale: ils sont tout autant synonymes de cauchemar et de souffrance pour mes longues nuits que pour la plupart des personnes. Au bout de deux mois, tout de même, la douleur est trop vive pour que je prétexte ne pas trop la sentir. Je suis d'ailleurs rendue avec une mâchoire musclée et proéminente à gauche, tant j'évite de mâcher à droite. J'appelle donc mon sauveur potentiel, qui prend des allures de bourreau moyenâgeux lorsqu'il sort ses armes de libération, et il me fixe un rendez-vous pour mardi 16h. Devant rejoindre une de mes amies pour le spectacle Alegria du Cirque du Soleil à 19h, je songe que trois heures de délai seraient amplement suffisantes pour aller subir un plombage et revenir faire une sieste à la maison avant l'heure H. Quelle douce illusion...
15h50: j'entre dans une salle d'attente douillette et sympathique, où la secrétaire m'invite gentiment à quitter chaussures et manteaux à l'entrée. En lieu et place des premières, elle me tend deux magnifiques rectangles bleus qui s'avèrent être des recouvre-chaussures d'hôpital. Pour l'heure, ces esthétiques objets seront des recouvre-chaussettes. Assise dans le fauteuil du supplice, j'explique au dentiste l'objet de toutes mes souffrances et je lui indique ma dent trouée. La dame en blanc hoche la tête sans répondre, prononce une phrase inintelligible à son assistante et sort de la salle. Dubitative, je vois la dite assistante remonter mon siège de la mort et me tendre un objet étrange, composé d'un cercle et d'un carré, le tout tenu par une tige en plastique, marquée par d'innombrables dents.
-"Mordez!
- Pardon?
- Mordez la tige! On va prendre une radio."
Trop étonnée pour prononcer une parole, je me mets en devoir de mordre la dite tige. L'aspect le plus agréable de l'exercice est sans nul doute la partie carrée de l'objet qui perfore le bas de la mâchoire. Deux secondes plus tard, la radio est prise et je me retrouve à nouveau allongée sur le fauteuil. La dentiste revient des limbes où elle avait disparu et m'explique que j'ai effectivement une carie, (au cas où j'aurais un doute sûrement et que je sois venue simplement pour le plaisir d'être si confortablement installée), mais qu'il y a 90% de chance pour qu'on doive aussi faire un traitement de canal. Là, un vent de panique me souffle dans le dos: j'ignore tout de ce qu'est un traitement de canal mais, à priori, ça sonne douloureux et particulièrement coûteux dans ce pays. La dentiste doit sentir que je guette le meilleur moment pour m'enfuir par la fenêtre car elle s'empresse de me rassurer: elle ne le fera pas aujourd'hui. Elle attend la radio. Par contre, elle va me faire mes plombages "en attendant". C'est vrai que quitte à ne rien faire, autant s'occuper...
-"mes?"
Eh oui! Car, m'apprend-elle, la dent d'à côté a un peu pâti de la carie de sa voisine. Bilan: il faut soigner les deux. Tout en m'expliquant à quel point il est important de prévenir les traitement de canal car ce sont des opérations coûteuses, elle se saisit d'une aiguille à la pointe si longue que j'étais certaine qu'elle allait crever un oeil à son assistante en l'essayant. Que nenni! L'aiguille trouva l'intérieur de ma bouche avec plus de facilité que moi même lorsque je bois une bière! Se faire planter un tel attirail dans une zone à priori aussi sensible n'est pas la partie "le fun" du dentiste, si tant est qu'il y en ait une, mais je suis un être orgueilleux, comme le Kung Fu a pu me l'apprendre, et je mis un point d'honneur à ne pas même planter un ongle dans ma main. La dentiste, décidément très bavarde ce soir là, continue de m'expliquer les préceptes du plombage en attendant que ma moitié de bouche gèle. Se saisissant de sa fameuse roulette au cri d'une scie circulaire, elle s'attaque ensuite à l'exploration de ma dent malade. Enfin, c'est ce que je croyais alors. J'ignore ce qui est le plus effrayant: le bruit de cet engin si proche de l'outil de l'ébéniste ou bien les morceaux de dent qui s'envolent au gré de l'exploration et atterrissent souvent sur notre visage. Personnellement, dans mon souvenir, l'outil le plus effrayant du dentiste était sans nul doute cette scie circulaire miniature. Quelle ne fut donc pas ma surprise de voir mon bourreau sortir un mini marteau piqueur afin d'être sûre de ne rien laisser de la dent coupable! Soudain, en dépit de ma moitié de visage gelé, une vive douleur s'empare de moi:
-"Stop!" criai-je dignement.
... Bon, évidemment, entre l'assistante et son aspirateur à salive d'un côté et l'experte en travaux public de l'autre, mon intervention s'apparenta plutôt à:
-"Stpjfdjiejijhs!"
Mais bon, l'important c'est d'être compris, n'est ce pas? La dentiste s'étonne que je sente encore quelque chose et, afin de ne plus me voir leur postillonner dessus, elle se lance dans l'élaboration d'une nouvelle seringue à l'aiguille infinie. Dans la conversation, et profitant que j'ai toujours l'aspirateur à salive dans la bouche, elle m'informe qu'en fait le trou vient de la perte d'un plombage, qui s'est fracturé et a planté sa moitié inférieure dans ma gencive, d'où mes douleurs des derniers mois et celle que je viens de ressentir, pendant son extraction. J'ignorais que les plombs avaient une durée de vie limitée mais, à priori, vu que c'est le deuxième en moins d'un an qui se fait la malle, je dois me rendre à l'évidence: une moyenne de quinze ans par plombage est un maximum! La seconde injection faite, mon visage me fait l'effet d'une énorme baudruche et la dentiste s'obstine à me poser un paquet de question pour me faire parler avec ma moitié de bouche opérationnelle. Soudain, j'ai envie de prendre mes cliques et mes claques et de m'enfuir avec ma paralysie faciale et ma dent à moitié creusée. Constatant que je ne peux plus parler, ma dentiste-garagiste enlève son masque: elle demande à son assistante de me faire une radio complète de la mâchoire afin de vérifier que toutes mes dents ne soient pas pourries. Elle disparaît à nouveau et son assistante m'entraîne dans un renfoncement du couloir où trône un siège aux allures de ceux présentés dans les films de science fiction des années soixante. Elle m'installe sur le fauteuil, place mon menton en avant, m'obligeant à basculer un peu la tête en arrière, avance une tige plus longue que la précédente et me demande de la mordre. Ainsi installée, j'imagine que je dois avoir l'air d'un oiseau malade buvant de l'eau à la pipette. L'assistante, de me demander:
-"Êtes-vous confortable?"
Je ne crois pas nécessaire de répondre et me contente d'un grincement de dents qui se veut l'expression sonore de mon rictus sarcastique. L'assistante balbutie quelques excuses et s'empresse de lancer sa machine à radio. Une minute plus tard, j'ai réintégré mon fauteuil et la dentiste, une nouvelle fois réapparue (j'imagine qu'elle est allergique aux radio... ou incontinente!), a de nouveau entrepris son travail de fondation dans mes dents. 18h05, elle se relève, visiblement soulagée, et moi, la bouche toujours aux trois quart inutile. Elle m'entraîne dans le bureau du fond et me montre ses radios: elle me désigne des tâches noires, que je ne vois d'ailleurs pas, et m'explique qu'il faudrait faire un plan pour réparer sept dents prochainement si je ne voulais pas devoir faire des traitement de canal. Je hausse un sourcil lorsqu'elle m'apprend que parmi les deux dents qu'elle m'avait réparé, aucune n'était celle que je lui avais désigné comme douloureuse. Elle préférait "attendre". Abasourdie, je l'entends me décrire ce qu'elle voudrait faire dès la rentrée et m'informer que ça devrait me coûter environ 5000 dollars. Je me retiens d'éclater de rire et je lui rappelle que je suis étudiante. Elle prend un air attristé et me conseille de prendre contact avec mon assurance car, vraiment, j'allais perdre mes dents si on n'agissait pas bientôt. A vrai dire, depuis deux heure que je suis dans cet établissement, à être secouée dans tous les sens, j'ai juste envie de m'enfuir. Je la remercie et cours presque vers la caisse où une facture plutôt gratinée m'attend.
-"585 dollars, s'il vous plaît.
- Joyeux Noël!" maugréais-je dans ma barbe.
Bien sûr, je vais être remboursée par mon assurance maladie. Mais l'avance fait mal à mon budget de noël et les perspectives ne sont pas glorieuses. En sortant de l'immeuble, une pensée me fait sourire: je sors du dentiste avec deux dents neuves, sans que je n'ai rien demandé à leur sujet, celle que je voulais soigner est encore malade et j'ai un plan qui causerait mon endettement sur dix ans sur le bureau de mes bourreaux. Vraiment, je persiste: les dentistes sont les garagistes du monde moderne! ^-^
Un élément positif, cependant: depuis ma prime jeunesse, la technologie semble avoir évolué et ce ne sont plus des plombs gris mais blancs. Bilan: j'ai deux dents grises en moins! ;) Afin d'oublier ces mésaventures, je m'empressai de rejoindre mon amie au Centre Bell afin de voir un spectacle qui rendrait le sourire au plus taciturne des êtres: Alegria du Cirque du Soleil! Mais je vous raconterai cette soirée la prochaine fois: là, faut que je contemple mes nouvelles dents!
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