15 novembre 2010

Grandir.

Au début, on ne s'en rend pas compte. On se dit que ce n'est rien, une nouvelle page de notre vie qui se tourne pour mieux en écrire d'autres. Après tout, tout le monde passe par là, tôt ou tard, alors pourquoi ce serait plus difficile pour nous? La vérité, c'est que ce n'est effectivement pas moins douloureux pour les autres, sauf que nous ne nous rendons compte de la profondeur de la blessure que lorsque c'est notre tour de l'infliger. Nous ne sommes toujours que de grands enfants : pour comprendre la souffrance, il nous faut l'expérimenter nous-mêmes, comme on découvre la sensation de froid ou la brûlure du feu. Ainsi, ce n'est que lorsque nous glisserons pour la première et dernière fois sur le bord de notre enfance que nous comprendrons, un instant trop tard, toute la détresse et le désarroi que notre chute occasionne. Nous qui avons toujours voulu marcher plus vite, devenir vizir à la place du vizir, simplement pour voir, une fois encore, la lueur de fierté dans leurs yeux, nous nous apercevons soudainement que nos pas nous ont entraîné trop loin et que, déjà, nous ne pouvons plus reculer. D'ailleurs, l'avons-nous jamais pu? Toute cette hâte que nous avons mis à grandir n'était finalement rien d'autre que l'illusion que nous pouvions contrôler le temps. 

Grandir. Jusqu'à nos dix ans, c'est une question de taille. Après, c'est plutôt une question d'esprit. Entre l'enfant et l'adulte, ce n'est pas l'âge qui compte, c'est l'ancre qui nous retient encore au port d'attache, à la famille, aux êtres qui nous sont proches. Ironiquement, aussi loin qu'on s'en aille, on est jamais seul tant que cette ancre reste attachée là où on l'a toujours laissée. Puis vient le grand jour, sans qu'on s'en rende compte. La corde, élimée par tant d'années à tirer dessus sans jamais la détacher, craque en silence et nous oblige à entrer dans un monde qu'on ne voulait pas vraiment connaître. Grandir, c'est l'ultime blessure qu'on inflige à ceux qui sont restés au port et qui vous ont  pourtant toujours préparé à ce grand départ, en sachant que ça arriverait un jour. Ils sont fiers de voir que vous êtes capables de voguer tout seul, sans attaches ni sécurité, mais ils sont un peu nostalgiques de cette preuve évidente que le temps passé est écoulé à jamais - non retour irrémédiable avec son lot de regrets et d'heureux souvenirs. Vous? Vous qui vous éloignez sur cette nouvelle étendue? Vous êtes heureux de cette ultime lueur de fierté dans leurs yeux et vous avez, dans le même temps, envie de vous rouler en boule pour pleurer toutes les larmes de votre corps. Parce que grandir, en fait, ça fait mal.

J'ai grandi trop vite à bien des égards. C'est sûrement pour ça qu'une partie de moi aurait voulu toujours demeurer enfant, conserver une ancre dans le port familial qui m'aurait permis de voir à tout jamais la lueur de fierté dans le regard de mon papa, de ma maman, de mes proches. Sûrement. Mais je ne suis jamais parvenue à empêcher le temps de filer. L'ai-je jamais essayé d'ailleurs? Jusqu'alors, je pensais qu'il me suffisait d'avoir l'air adulte pour qu'il m'oublie. Peine perdue. La corde a craqué. Je vais me marier et dans la voix de mon papa, dans le regard de ma maman, quelque chose s'est brisé aussi. La petite-fille a grandi. La petite-fille est partie. Ils sont fiers de voir qu'elle sait voguer toute seule mais elle emporte avec elle les derniers vestiges de cette enfance disparue. Ce n'est pas triste, au fond, c'est juste un peu douloureux. C'est accepter de lâcher la main de ceux qui vous ont toujours soutenu pour avancer toute seule. C'est se rendre compte de ceux qui n'ont pas tenu jusqu'à ce jour, de ceux qui vous manquent parce que leur bateau a coulé avant le vôtre alors que tout laissait croire qu'ils étaient des capitaines hors pair. Voir grandir, ça fait mal.

4 commentaires:

  1. Gigi: je suis une vraie adulescente! Je sais pas si j'arriverai à grandir un jour! Mon cerveau est coincé sur "16 ans".
    Le cliché de la famille avec le papa la maman et les enfants,le monospace avec sièges rétractables sans oublié le labrador, me donne la nausée! ça ne me fait absolument pas rêver!!!:(

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  2. L'avantage aujourd'hui c'est que nous construisons la famille de la manière que nous voulons. Ce n'est pas le mariage qui ouvre la porte aux enfants, au bungalow et au labrador mais les choix personnels. Dans mon propre cas, j'ai eu le chien avant le fiancé, les enfants ne sont pas prévus (j'ai des neveux, j'avoue, ça compense! ;) )et le mariage est surtout dû au caractère international de notre couple.

    Je reste persuadée que ce qui nous fait grandir, c'est notre autonomie dans la vie, nos prises de décision qui font que nous n'avons plus besoin de ceux qui nous ont aidé à acquérir cette autonomie. C'est à cela que je faisais surtout allusion: j'ai une part de moi qui aurait bien aimé ne pas grandir pour toujours pouvoir me réfugier à la maison familiale et ne jamais montrer que je pouvais me débrouiller sans mes parents.

    Mais cela ne remet pas en question mes choix de vie dont je reste maître. C'est surtout de la nostalgie.

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  3. Gigi: Je vous comprends et vous avez raison.
    Je suis autonome mais je traine avec moi des boulets qui me font faire un peu n'importe quoi! c'est ça mon coté enfant, je fais des bétises et j'écoute rien :)

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  4. Comme dit Jacques Brel, il est possible de devenir vieux sans être adulte! Tant que c'est notre choix, tout va bien! ^-^

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