11 novembre 2010

Cadeau à crédit.

Certains diront que je suis trop jeune pour chanter la fameuse complainte "De mon temps, c'était bien mieux", mais qu'à cela ne tienne, je le fais quand même: je suis quotidiennement époustouflée par le règne absolu de la carte de crédit. Il faut savoir qu'ici, lorsqu'on parle de cette petite carte magnétique, on fait véritablement référence à du crédit, au sens où le montant passé ne sera jamais prélevé spontanément sur votre compte chèque ou épargne. De fait, la sur-utilisation de ce magnifique outil entraîne une forme de vie à crédit. Formidable. Vous me direz: personne ne nous oblige à en user et l'autre carte, celle qui débite uniquement l'argent dont nous disposons dans notre compte, n'attend qu'un geste de notre part pour nous offrir ses services. Certes. Mais êtes-vous sûrs que personne ne nous oblige à utiliser la carte de crédit?

Prenons un exemple concret: deux amies vous offrent une carte-cadeau pour un spa et un massage. Voilà une heureuse après-midi en perspective, n'est-ce pas? Comme vous vous doutez que les massothérapeutes doivent être occupés à la journée longue, vous anticipez et appelez quelques jours plus tôt pour prendre rendez-vous. Finement pensé! Là, vous expliquez à Germione, qui vient de décrocher le téléphone avec une voix (trop) pleine d'entrain, genre vous allez lui annoncer que vous lui offrez des vacances à Tahiti, que vous disposez, chanceuse que vous êtes, d'une carte-cadeau pour un massage. Formidable, répartit Germione, toujours aussi curieusement extatique, il me faut tout de même votre numéro de carte de crédit. Pour réserver, qu'elle dit. Genre pour assurer que vous ne vous amusez pas à appeler tous les spa de la région pour prendre des rendez-vous auxquels vous n'irez jamais, parce que ça vous fait bien rire ces petites boutades. En somme, c'est un peu comme si lorsque vous appelez votre dentiste, esthéticienne, vétérinaire ou coiffeur, tous vous demandaient votre numéro de carte de crédit "par sécurité". Y a juste moi que ça fait capoter ou quoi?

Soit, je veux bien reconnaître que c'est toujours désagréable lorsque les gens prennent des rendez-vous auxquels ils ne viennent pas mais j'ose croire que ce n'est pas par amusement personnel : ou ils oublient, auquel cas, carte ou pas, c'est la même chose, ou ils ont un empêchement de premier ordre, donc ça ne change rien non plus. En outre, ce qui me fâche surtout dans cette histoire, c'est que si vous n'avez pas de carte de crédit, ben vous n'avez pas de rendez-vous et donc votre carte cadeau, comme m'a gentiment signifiée la (trop) joyeuse Germione, "pourra être utilisée une autre fois". Genre, si je vais me procurer une carte de crédit d'ici là quoi. Dans les faits, j'en ai une, de carte de crédit, mais française donc ça ne fonctionne pas pour les réservations, dixit la madame. Première nouvelle. Sûrement parce que là-bas, loin en Europe, les cartes de crédit ne sont pas les mêmes: faudrait pas se retrouver avec une carte, pas de fonds pour payer. De fait, il me restait l'option:

-"Juuuuuuuuuulllleesss! Tu me prêtes ta carte???

Ou l'option:

-"Euh ouais ben je vais rappeler plus tard pour voir si vous avez de la place."

J'ai évidemment pris la seconde, plus par sursaut d'orgueil que par une vive opposition de Jules à me prêter sa carte, ce qui fait que je l'ai, passez-moi l'expression, dans l'os pour le massage de cet après-midi. Remarquez, je n'ai que ce que je mérite puisque je n'ai pas voulu me plier aux critères d'une société de crédit qui vit à crédit et qui se nourrit de crédit. Indéniablement. Mon sursaut d'orgueil était surtout une réaction d'agacement face au ridicule de la chose: si je n'avais pas Jules pour m'aider, je ne pourrais probablement jamais avoir un massage dans ce spa, par exemple, mais ce n'est pas la seule affaire: toutes les réservations par Internet, du billet d'avion à la chambre d'hôtel, demandent un numéro de carte de crédit. Le principe de la confiance est révolu pour mettre en place un système lucratif qui consiste à dématérialiser la menace de l'argent gaspillé. Après tout, on ne le voit pas directement lorsque le montant est débité en notre absence: ça fait donc moins mal et ça ne nous motive pas à nous faire des croix au fer rouge sur la peau si on doit prendre un autre rendez-vous. Pourtant, certaines entreprises ont encore suffisamment confiance en leur service pour maintenir un système de réservation qui ne dénature pas le principe de la carte cadeau : tu prends rendez-vous et il te rappelle la veille ou l'avant-veille pour confirmer. Ainsi, par exemple, l'Ovarium de Montréal: jamais je n'ai eu à donner un quelconque numéro de carte de crédit pour utiliser un bon cadeau. Ben, du coup, je trouve que c'est tout de même beaucoup plus attirant comme principe. En tout cas.

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