16 juin 2010

La relativité de l'évidence.

Une évidence. Y a t-il quelque chose de moins évident qu'une évidence? S'il l'on y réfléchit bien, elle est le symbole même de la relativité alors que l'imaginaire populaire voudrait qu'elle soit universelle. Le dictionnaire définit cette notion par "la caractéristique de ce qui s'impose de soi-même à l'esprit, voire un truisme". Mais ce "qui s'impose de lui-même dans notre esprit" n'est que le résultat de nos acquis, la conséquence de notre éducation et de notre programmation sociale. De fait, nulle évidence ne peut faire l'unanimité. Prenons un exemple: j'ai appris à me servir d'un ordinateur alors que j'avais 18 ou 19 ans. Jusqu'à cet âge là, je pensais que c'était une grosse machine qui mangeait des disquettes et sur laquelle on pouvait jouer à des jeux simples, en 2D, grâce au clavier. Pour mon père, c'est resté un animal étrange qui projette une lumière douloureuse pour les yeux et par lequel il peut, parfois, si ma mère enclenche le processus, voir et parler à ses filles qui habitent à plus de 6000 kilomètres de lui. Pour moi, il évident que si l'imprimante s'allume correctement, roule et finit après moult efforts par faire un bourrage papier, elle a un problème pour saisir le dit papier. Pour mon père, cela n'a rien d'évident. D'un autre côté, il hausse les sourcils avec un étonnement presque gênant lorsqu'il apprend que je ne sais pas reconnaître du Sorgho mâture dans un champs. Il arrive quotidiennement à tout le monde d'être confronté à ces évidences non évidentes. Pourtant, cela ne nous empêche pas de réagir toujours avec le même étonnement presque sarcastique face à celui qui ne semble pas les connaître, comme si nous oublions que nous non plus, nous ne connaissons pas tout.

J'étudie depuis de nombreuses années maintenant. Je parviens au dernier palier universitaire. Après, c'est le Néant niveau diplôme ou alors il faudrait changer radicalement de domaine. Pour certains, cette "fin" implique une certaine omniscience: ainsi, par exemple, dès qu'il est question d'autochtones, peu importe le siècle ou le lieu, tout le monde se tourne vers moi, l’œil vif: "celle-là, elle est pour toi!". Puis, face à mon ignorance, de s'étonner:

-"Comment ça tu fais un doc en histoire amérindienne et tu ne sais pas comment les Pawnees vivaient?
- Euh... Mis à part qu'ils vivaient quelque-part dans le coin du Missouri, non je ne les connais pas. En fait, je travaille plus sur ceux de la vallée du St Laurent..."

Déception générale. Je ne suis pas un puits de sciences et j'ai probablement passé ces dernières années à trouver de nouvelles manière de mettre en application la procrastination étudiante. C'est logique, finalement: puisqu'il n'y a plus d'étapes après le doctorat, cela doit sous-entendre que le titulaire du diplôme a tout appris. Enfin, c'est ce qu'on pourrait croire. C'est amusant d'ailleurs car, dans les faits, plus on avance dans les études, plus on se rend compte qu'on ne connaît rien. Remarquez, c'est peut-être pour cette raison qu'il n'y a plus rien après cette prise de conscience: se rendre compte qu'au bout de plus de dix ans d'études, on ne connait toujours qu'une infime partie du quart de la moitié d'un atome de la masse des savoirs, ce n'est pas très encourageant pour continuer. Mes amis ont, pour la plupart, une science et une curiosité intellectuelle riche qui les classe indéniablement dans la catégorie "cultivés et érudits". Personnellement, je les admire beaucoup d'avoir ces connaissances car ils appréhendent le monde qui les entoure avec plus de lucidité que je n'en aurai jamais. J'aime les écouter et parfois débattre. Pourtant, je me demande souvent comment on se sent lorsqu'on est aussi lucide? Je m'explique: à ma petite échelle, je connais quelques bribes des sociétés sur lesquelles je travaille, sur celles qui m'entourent, je peux, même si j'ai bien moins de connaissances que bien du monde, comprendre certaines choses. Mais plus je comprends, plus je trouve cela angoissant. Comprendre l'ampleur de ce qu'est l'humanité aujourd'hui et appréhender son impuissance face à ses dérives, n'est-ce pas angoissant? Se rendre compte que plus on en apprend, plus il en reste, n'est-ce pas vertigineux? Rien n'est évident. L'évidence n'existe pas. Elle est un concept inventé pour catégoriser les acquis et savoirs de chacun et les ériger en vérité. L'évidence est donc relative et, par extension, la vérité est relative! Ironique, n'est-ce pas?

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