4 avril 2012

Un Livre de vie toujours trop court.

Enfant, on a l'impression que la vie est éternelle, qu'elle ne changera jamais et que le monde continuera toujours de tourner dans le même sens. Ce n'est pas vraiment qu'on ne connaît pas la mort ou qu'on ne comprend pas l'inéluctabilité du temps qui passe: c'est simplement qu'on a l'impression d'avoir le temps avant que ça nous atteigne vraiment. Pour ma part, d'un naturel plutôt sombre, j'ai cherché très jeune à faire entrer la mort dans ma vie en mettant en scène la mienne dans mes écrits ou dans mes pensées. Mais ce n'était qu'une projection de ma propre fin qui m'empêchait d'imaginer qu'un jour mes proches partiraient avant moi. En fait, j'étais juste terrorisée à l'idée d'être la dernière à rester sur cette Terre, tandis que tous ceux qui me sont chers l'auraient déjà quittée selon le "cycle naturel de la vie"... Maudit cyle... 

Je n'ai jamais eu de rapports complices avec mes grands-parents: les parents de mon père nous ont quittés alors que j'étais encore trop jeune pour ressentir le sentiment de vide qu'ils laissaient derrière eux et les parents de ma mère n'ont jamais été très bavards avec moi. Lorsque mon papi est mort, j'étais au Canada: c'était la première année où je quittais la France pour aussi longtemps et il est parti deux semaines avant mon retour. J'étais triste car même si je n'avais jamais été très proche de lui, il était et restera le seul grand-père que j'aurais jamais connu. Je me rappellerai toujours sa gourmandise pour le gâteau au chocolat de mamie, qui le grondait parce qu'il se resservait subtilement trois fois, ou encore ses habitudes d'écouter France-Inter à fond en se rasant à 8h du matin. Papi, c'était aussi des histoires, racontées par maman, un fantôme qui avait vécu une autre époque, celle de la Guerre et des loups aux portes de la maison. Lorsqu'il est parti, j'étais triste mais je me plaisais à me dire qu'il s'était réincarné dans ce chat, apparu le lendemain de sa disparition devant la porte de Mamie, réclamant du gâteau au chocolat et des caresses en se frottant sur ses frêles jambes. C'était il y a presque huit ans.

Aujourd'hui, Papi-chat est parti à son tour: peu de temps après l'hôspitalisation de Mamie, il a fini ses jours sous les roues d'une voiture. Ironique, lorsqu'on sait le peu de voitures passant dans le coin... Et Mamie? Mamie voit à regret se tourner la dernière page de son livre. Elle qui a toujours été autonome, dans sa grande maison vide et qui, jusqu'au dernier moment nous préparait ses crèpes dans des poêles tellement brûlées qu'elles en avaient la couleur de la suif,  avec tant d'huile que l'on peinait à distinguer la pâte dessous, elle doit aujourd'hui lutter pour se rendre jusqu'à son fauteuil de chambre: dans une maison de retraite remplie de gens qui divaguent, elle ne marche même plus. Alors Mamie, elle n'a plus le moral. Elle ne veut plus se battre mais elle ne peut pas partir non plus. Parce qu'on n'imagine pas à quel point c'est dur de quitter ceux qu'on aime pour l'inconnu - inconnu qui prend souvent des allures de Néant lorsqu'on arrive à sa porte. Et aujourd'hui, je suis assez grande pour sentir le mal que ça fait de voir s'éteindre une personne que l'on aime. Avec elle, c'est tout un pan de vie qui s'effondre: la grande maison qu'elle habitait encore, celle qui a abrité tant de nos jeux d'enfants, celle qui a écouté les pleurs et les joies de ces êtres dans son ventre, va être vendue  pour payer la maison de retraite. Et Mamie ne nous fera plus ses crèpes ou ses beignets, elle ne tournera plus la broche pour nous faire des gâteaux traditionnels. Elle ne lira plus ses romans à l'eau de rose au coin du feu ni ne fera ses quelques pas dans son immense jardin, désormais déserté de ses poules et de ses cris d'enfants. 

Mamie est désormais enveloppée dans un grand voile de tristesse. La sienne, indéniablement, celle de ses enfants car, peu importe notre histoire, une maman occupe toujours une grande place dans notre coeur et il n'est jamais vraiment possible de combler ce vide, et toute celle de sa famille. Je suis loin et impuissante: je ne peux pas montrer à ma Mamie que je l'aime et pense à elle, je ne peux pas réconforter ma maman qui souffre tellement que l'on en ressent des secousses jusque de ce côté de l'océan et je ne peux que penser très fort à elles, à eux, à cette fin qui s'annonce et qu'on ne voudrait jamais lire. Finalement, on ne veut pas savoir la fin du livre: elle est toujours triste. Peu importe l'histoire, elle ne s'épanouit que dans les larmes et le vide. 

Alors je pense à ma Mamie et à ma Maman. Très très fort. Je vous aime.

2 commentaires:

  1. J’ai perdu ma grand-mère il y a un an, c’était tout pour moi on était très proche. Elle m’a donné l’amour que ma mère ne m’a jamais donné, c’était une sacrée grand-mère.
    Maintenant je suis comme amputée, blessée, comme si il me manquait un organe vital. Je comble le manque comme je peux avec des produits artificiels mais ça ne remplacera jamais son amour maternel.
    Je compatis à votre tristesse :(

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  2. Merci. Elle est finalement partie dans son sommeil il y a quelques semaines... C'est étrange car je suis triste mais je sais que ce n'est rien à comparer à mon retour en France. Ici, je le réalise sans le réaliser - là-bas, ce sera différent... Et puis, il y a ma maman. On est souvent encore plus triste de sentir la détresse de nos proches. Mais il faut réussir à avancer: le temps ne nous attend jamais, de toute façon.

    Toutes mes sympathies également, même si avec un an de retard.

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