Le proverbe le dit: il n'y a pas de sot métier. Aussi, lorsque l'on m'a proposé de faire la correction d'élèves au bac (comprendre, en Licence version Universités Québécoises), j'ai eu un tressautement de joie: après tout, les temps sont difficiles, mes heures de travail à la chaire de recherche ont été coupées de moitié faute de budget, il est temps de prendre des mesures!
J'avais déjà effectué des travaux de correction, il y a cinq ans, alors que j'étais à l'Université de Sherbrooke. Je me rappelais vaguement de quelques perles que j'avais lues alors, mais j'ignorais tout de ce qui m'attendait. Pleine de bonne volonté, je me saisis de mon paquet d'examens à corriger ainsi que de la grille de correction, je me prépare un petit thè au Ginseng, j'attrape mon plus beau stylo rose (ben oui, j'avais pas de rouge...De toute façon, c'est moins agressif, rose.), et je m'installe dans mon salon, aussi sombre à 8h du matin que le fond d'une caverne.
Petit tour quotidien sur Internet: entre mes mails et les quiz de Facebook, ça devient plus ritualisé que si je souffrais de TOC (Troubles Obsessionnels Compulsifs et non Thérapie Orale de la Calvitie, bien sûr...). Pas de mails intéressants, le test a décrété que j'étais une gentille romantique aux lèvres pulpeuses (résumé de trois résultats de quiz), je peux donc me lancer dans ma correction. Je suis un brin enthousiaste car les examens portent sur les communautés autochtones au XIXe siècle: je vais donc accroître mes connaissances!
"3 principes vont créer le Canada et modifier le mode de vie des autochtones.
1/Tout territoire doit être occupé, ce qui veut dire cultiver. Puis l'expression qui va à la chasse perd sa place provient sûrement de là."
Tiens, je viens de cracher ma gorgée de thé bouillant sur le chat, confortablement installé sur mes genoux, qui pousse un petit miaulement de protestation. Comme pour me faire pardonner, je lui lis à haute voix la phrase à l'origine de cette maladresse. Rien à faire: il ne semble pas se rendre compte qu'un élève en troisième année d'Histoire vient d'affirmer que cette proverbiale expression sur la chasse et la place avait pour origine la colonisation Britannique. Impassible, il se roule en boule dans l'autre sens et reprend un somme complétement imérité, puisqu'il est sa seule activité quotidienne. J'envierais presque, un instant, son insouciance.
Mettons les choses au clair immédiatement: je suis loin, à des années lumière même, de tout connaître en Histoire autochtone. Et les fautes d'orthographe, même si elles suscitent parfois, chez moi, une petite électrisation de ma pilosité des bras, sont un problème, somme toute, assez courant. Là, où j'ai vraiment du mal à ne pas m'étrangler en lisant ces examens, c'est lorsque je songe que ce garçon, qui a, en toute ingénuïté, marqué que l'expression sur la chasse venait de la colonisation, est en troisième année à l'Université et qu'il va s'en tirer avec une moyenne tout à fait convenable parce que les professeurs ne veulent pas avoir d'ennuis et que l'établissement veut des résultats. En d'autres termes, on va donner à cet ignorant crasse un diplôme de haut niveau en histoire pour que la côte de popularité de l'UQAM n'empire pas et que le professeur n'ait pas à gérer un litige sur la note.
Certains jours, je me demande ce que je fais là: je n'ai pas une très grande réflexion, je ne suis pas érudite, et pourtant je termine un Doctorat. Je me présente souvent comme un imposteur. Mais lorsque je lis les travaux de ceux qui sont amenés à me succèder dans ce cursus, je ne peux m'empêcher de douter. Comment pouvons-nous espérer une quelconque compétence de ces jeunes si leurs travaux ne sont jamais sanctionnés à leur juste valeur, sous prétexte qu'il faut préserver une fausse image publique?
"Les différents traités ont amené les autochtones à demeurer près du Saint Laurent. Certains se sont mariés à la Paroisse et ils sont devenus seigneur. Les nomades ont plus ou moins changé leur mode de vie."
Tiens, faudrait leur demander, aux autochtones, qui ont été décimés par les guerres, les famines et les maladies, ce que ça leur fait d'être devenus "seigneur" l'espace d'un examen...Une bonne nouvelle, tout de même: les deux citations étaient de la même personne. Gardons espoir pour les 45 travaux qu'il reste...
J'avais déjà effectué des travaux de correction, il y a cinq ans, alors que j'étais à l'Université de Sherbrooke. Je me rappelais vaguement de quelques perles que j'avais lues alors, mais j'ignorais tout de ce qui m'attendait. Pleine de bonne volonté, je me saisis de mon paquet d'examens à corriger ainsi que de la grille de correction, je me prépare un petit thè au Ginseng, j'attrape mon plus beau stylo rose (ben oui, j'avais pas de rouge...De toute façon, c'est moins agressif, rose.), et je m'installe dans mon salon, aussi sombre à 8h du matin que le fond d'une caverne.
Petit tour quotidien sur Internet: entre mes mails et les quiz de Facebook, ça devient plus ritualisé que si je souffrais de TOC (Troubles Obsessionnels Compulsifs et non Thérapie Orale de la Calvitie, bien sûr...). Pas de mails intéressants, le test a décrété que j'étais une gentille romantique aux lèvres pulpeuses (résumé de trois résultats de quiz), je peux donc me lancer dans ma correction. Je suis un brin enthousiaste car les examens portent sur les communautés autochtones au XIXe siècle: je vais donc accroître mes connaissances!
"3 principes vont créer le Canada et modifier le mode de vie des autochtones.
1/Tout territoire doit être occupé, ce qui veut dire cultiver. Puis l'expression qui va à la chasse perd sa place provient sûrement de là."
Tiens, je viens de cracher ma gorgée de thé bouillant sur le chat, confortablement installé sur mes genoux, qui pousse un petit miaulement de protestation. Comme pour me faire pardonner, je lui lis à haute voix la phrase à l'origine de cette maladresse. Rien à faire: il ne semble pas se rendre compte qu'un élève en troisième année d'Histoire vient d'affirmer que cette proverbiale expression sur la chasse et la place avait pour origine la colonisation Britannique. Impassible, il se roule en boule dans l'autre sens et reprend un somme complétement imérité, puisqu'il est sa seule activité quotidienne. J'envierais presque, un instant, son insouciance.
Mettons les choses au clair immédiatement: je suis loin, à des années lumière même, de tout connaître en Histoire autochtone. Et les fautes d'orthographe, même si elles suscitent parfois, chez moi, une petite électrisation de ma pilosité des bras, sont un problème, somme toute, assez courant. Là, où j'ai vraiment du mal à ne pas m'étrangler en lisant ces examens, c'est lorsque je songe que ce garçon, qui a, en toute ingénuïté, marqué que l'expression sur la chasse venait de la colonisation, est en troisième année à l'Université et qu'il va s'en tirer avec une moyenne tout à fait convenable parce que les professeurs ne veulent pas avoir d'ennuis et que l'établissement veut des résultats. En d'autres termes, on va donner à cet ignorant crasse un diplôme de haut niveau en histoire pour que la côte de popularité de l'UQAM n'empire pas et que le professeur n'ait pas à gérer un litige sur la note.
Certains jours, je me demande ce que je fais là: je n'ai pas une très grande réflexion, je ne suis pas érudite, et pourtant je termine un Doctorat. Je me présente souvent comme un imposteur. Mais lorsque je lis les travaux de ceux qui sont amenés à me succèder dans ce cursus, je ne peux m'empêcher de douter. Comment pouvons-nous espérer une quelconque compétence de ces jeunes si leurs travaux ne sont jamais sanctionnés à leur juste valeur, sous prétexte qu'il faut préserver une fausse image publique?
"Les différents traités ont amené les autochtones à demeurer près du Saint Laurent. Certains se sont mariés à la Paroisse et ils sont devenus seigneur. Les nomades ont plus ou moins changé leur mode de vie."
Tiens, faudrait leur demander, aux autochtones, qui ont été décimés par les guerres, les famines et les maladies, ce que ça leur fait d'être devenus "seigneur" l'espace d'un examen...Une bonne nouvelle, tout de même: les deux citations étaient de la même personne. Gardons espoir pour les 45 travaux qu'il reste...
excellent !
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