Parmi les choses qui me sont difficiles dans la vie, citer mes qualités arrivent dans le peloton de tête. Je suis fondamentalement incapable de me trouver des qualités. N'y voyez pas une fausse modestie mal placée ou un manque de confiance en moi trop profond: c'est simplement à cause de ma trop grande propension à tergiverser. J'ai passé (et je passe encore) tellement de temps à analyser ce qu'il se passe autour de moi, ce que je dis, ce que je fais, jusqu'à ce que je ressens que je ne peux qu'y trouver des failles en permanence: on appelle ça de l'égocentrisme poussé à l'extrême. Et si je faisais semblant, inconsciemment, d'être "drôle et sympathique" (SIC) pour qu'on ne me rejette pas? Toutes mes actions me paraissent faussées et cela me pose un réel problème lorsque je dois énumérer des qualités. Bien sûr, je vais arriver à argumenter lors d'un entretien d'embauche (avec succès, d'ailleurs, comme on peut le voir...) car ce qu'on me demande ne relève pas du personnel: je sais ce qu'on attend de moi et je peux m'appuyer sur ce que je sais faire pour défendre ce que je suis. C'est une autre paire de manche lorsque cette question arrive sur le plan personnel. Je ne sais pas comment je me débrouille mais, alors que j'hais cette question qui me laisse toujours sans voix, je finis toujours par créer cette situation. Le pire, c'est que cela donne à mon interlocuteur l'impression que je voudrais qu'il cite mes qualités à ma place (summum de la fausse modestie!) mais cela ne fait que me mettre plus mal à l'aise tant j'ai l'impression que je ne corresponds pas au portrait qu'il me dépeint. Pousser mon égocentrisme jusqu'au bout, je pourrais sans doute débattre pied à pied chaque argument qui m'est donné mais à quoi bon? Je ne souhaite pas réellement que ceux que j'aime s'aperçoivent que je ne suis pas celle qu'ils croient et que toutes les qualités qu'ils me prêtent ne sont que les effets d'un mirage. Je suppose que le temps leur dira pour moi, comme cela semble être le cas pour Jules...
Je ne sais donc pas définir mes qualités mais il y a une chose dont je suis sûre me concernant: je suis une rêveuse. Une vraie de vraie, mais une version "moi, je" encore. En clair, je ne rêve pas de paix dans le monde et de bisounours - mon cynisme a eu raison de ceux-là il y a longtemps - mais je suis toujours pleine de millions de projets que je voudrais réaliser la semaine prochaine si je le pouvais: faire le tour du monde, vivre au Japon, réaliser des missions humanitaires, faire des études de médecine (ouin, je sais...), de vétérinaire, de biologiste (mon prof de biologie qui m'a vu réaliser mes plus beaux dessins durant ses cours doit s'étouffer quelque-part dans ce monde), écrire des romans à succès et des nouvelles sans lendemain, ouvrir un magasin de robes de mariées (c'est une longue histoire...), élever des golden retrievers, ouvrir un refuge pour animaux, un orphelinat de type Neverland pour tous les enfants du monde, voir les cerisiers en fleur au Japon, les temples du Laos et du Cambodge, traverser le Canada en Westfalia,... Bref, j'aurais besoin de quelques vies de rechange j'imagine.
Lorsque j'étais enfant, je me disais que j'aurais au moins fait la moitié de tout ça à mes trente ans. En Doctorat, je me disais que je prenais du retard dans mon planning mais c'était reculer pour mieux sauter: avec la pléthore d'emplois que j'aurais en terminant, je pourrais tout faire en deux ans! Et puis, un jour, tout doucement, je me suis heurtée de plein fouet à cette saleté de réalité qui vous attend au détour du chemin. Quelle idée de faire des tournants sur les chemins, d'abord! Elle m'attendait là et ça la faisait doucement rigoler de m'entendre babiller mes projets comme si rien ne pourrait m'empêcher de les réaliser. Après tout, j'ai toujours tout réussi dans la vie - beaucoup par esprit de contradiction, certes (il est vrai que lorsque tout le monde ou presque pense que vous allez vous planter, y a moins de risque à tenter le coup. Personne ne sera déçu sauf vous si ça ne marche pas). Alors, même si les Augures ne paraissaient pas très bonnes après mon Doctorat d'Histoire, je n'ai juste même pas réfléchi que je pouvais, trois ans plus tard, réaliser mon premier échec. Et il est de taille. J'ai 32ans, un Doctorat qui ne sert à rien et une douzaine de hottes remplies de rêves impossibles qui pourrissent dans un coin de mon cerveau. Autour de moi, je regarde mes amis et ma famille grandir, vivre, évoluer, avancer sur leur chemin de vie tandis que je ne trouve pas le moyen d'enjamber cette réalité qui me barre la route. Et avec moi, je garde Jules, prisonnier, incapable d'avancer sur son chemin parce que cela fait plus de dix ans qu'il attend demain avec moi. Car demain, tout ira mieux. Ou peut-être pas finalement...Et parfois, je me demande si j'ai le droit de le retenir ainsi.
Je me sens comme prisonnière derrière une vitre, condamnée à regarder vivre ceux qui me sont chers, à échafauder des projets sans jamais pouvoir les atteindre ou les réaliser. Et si je m'étais menti à moi-même sur ce que j'étais réellement?